LES CAHIERS DE SCIENCE VIE n°140 - Page 10 - ÉDiTO Isabelle Bourdial rédactrice en chef BrunoMallartpourlescahiersdescience&Vie La première bière a pu naître de quelques grains oubliés dans un peu d’eau. Pas le vin. Il est le fruit du travail des hommes. Les vignerons novices, qui ont vendangé il y a plus de six millénaires, avaient sûrement observé les effets de la fermentation du jus de raisin. Mais pour exploiter cette propriété naturelle, ils ont su distinguer parmi d’innombrables espèces de vigne celles dont la teneur en sucre des baies était parfaite. Ils ont fait le choix de sélectionner des plants hermaphrodites, ont dompté et contraint une liane des plus sauvages. Tous ces gestes calculés, exigeant efforts et patience, sans lien direct avec le processus de vinification, ont été accomplis très tôt dans l’histoire du vin. Une histoire indissociable de celle de l’humanité. Car à la sortie du néolithique, le divin nectar élevé dans le Caucase, en Iran, en Syrie... a vite coulé en Orient et sur le pourtour méditerranéen. Faut-il, à l’instar de Rabelais, le voir comme ce qu’il y a de plus civilisé au monde? Toujours est-il que dès l’origine le vin est un bien culturel, une marque de civilisation. Honte à ceux qui négligent les rituels entourant sa dégustation. Hérodote s’indigne de ce que les barbares boivent le vin pur et en solitaire. Les Gaulois se vengeront en plantant et en exploitant un vignoble d’exception. Facteur de vie sociale, source de profit… Le vin a bien d’autres vertus. Il soigne (c’est un antiseptique), il nourrit, il réconforte et même davantage. Les Babyloniens racontent que leur héros Gilgamesh – qui préfigure, à maints aspects, le personnage biblique de Noé – trouve une vigne dont le vin rend immortel. La religion s’intéresse à son tour très tôt au sang de la vigne, en particulier le christianisme, vecteur majeur de sa diffusion dans toute la chrétienté. Au Moyen Âge, la viticulture française est d’ailleurs ecclésiastique pour l’essentiel. Rois et princes en useront également comme d’un instrument de pouvoir. Ceux qui l’ignorent s’en repentiront. Roland Barthes, dans ses Mythologies, rappelle qu’au début de son mandat, le président Coty suscita l’indignation de la nation tout entière en se laissant photographier à table, en compagnie d’une bouteille Dumesnil à la place de l’inéluctable litron. In vino... «civilitas» 22 Les Cahiers de sCienCe & vie Les Cahiers de sCienCe & vie 23 Le vin est la boisson du peuple et des banquets. (Échoppe de vin à Herculanum ; Bacchus, dieu romain du vin, par Michel-Ange.) Les Grecs ont inventé l’art de la vinification, les romains l’ont développé à grande échelle. Partie intégrante du quotidien, le vin est, chez les gens aisés, au centre de tous les raffinements. Bacchus s’inviteà toutes les tables « B Grecs et Romains uvons donc, amis, c’est aussi mon sentiment. Le vin, en arrosant nos esprits, endort les chagrins comme la mandragore assoupit les hommes. Quant à la joie, il l’éveille comme l’huile la flamme », s’enthousiasme Socrate, invité à un banquet servi en l’honneur du jeune Autolycus, vainqueur au Pancrace (un sport de combat grec). Allongés sur des banquettes, les convives savourent les nectars servis dans d’esthétiques rhytons. Ces scènes, image fétiche des artistes, ont maintes fois été reproduites sur des vases et des peintures antiques. On comprend, à travers elles, que dans l’Antiquité grecque et romaine le vin faisait partie du quotidien. Dans tout le bassin méditerranéen, les fouilles archéologiques ont mis au jour quantité d’amphores de provenances différentes. Ces simples emballages de terre cuite qui n’étaient utilisés que le temps d’un voyage vont, par les informations qu’elles contiennent, tisser les liens entre les producteurs et les consommateurs, et restituer une grande partie de l’histoire du vin antique. L’une des plus belles prises de l’archéologie sous-marine date de la découverte de l’épave de la Madrague, en 1967, au large de la presqu’île de Giens, dans le Var. Ce voilier de commerce, daté du Ier siècle av. J.-C., acheminait une cargaison de vin entre l’Italie et la Gaule. Six mille cinq cents amphores gisaient intactes à plus de vingt mètres de profondeur, encore empilées dans wernerforman–uigviagettyimages/domingie&rabatti–lacollection-muséedubargello,florence aux oriGines du vin 28 Les Cahiers de sCienCe & vie Les Cahiers de sCienCe & vie 29 Brunomallartpourlescahiersdescience&vie L’engouement des Gaulois pour le vin est connu depuis l’antiquité. Ce dernier, importé jusqu’à la conquête romaine du ier siècle av. J.-C., est ensuite massivement produit sur tout le territoire de la Gaule. C’est à partir de cette époque que se dessine la carte de nos grands vignobles. Ce nectar qui élevait nos ancêtres La passion des Gaulois pour le vin et les banquets faisait le bonheur des marchands italiens… Jusqu’à ce qu’ils s’en approprient la culture. Les Gaulois aux oriGines du vin 72 Les Cahiers de sCienCe & vie Les Cahiers de sCienCe & vie 73 Du Moyen Âge au Siècle des lumières, le vin accompagne l’extension des villes. Jugé bon pour la santé, nutritif, il s’invite dans le quotidien des Français et s’y taille Boisson privilégiée des religieux en tant que sang du Christ, le vin devient un signe distinctif des classes aisées. Autour du champagne et du vin, les plaisirs de la table s’affichent. (Le déjeuner d’huîtres, de J.-F. De Troy, 1735 ; en bas, miniature du XIIIe s.) deagostini-leemage-muséecondé,chantilly britishlibrary-robana-leemage une place unique quand la Renaissance le consacre en éthique de vie. Qu’il soit blanc ou rouge, le vin laisse sur le pays ses traces indélébiles. oines soiffards à la trogne enluminée dégustant les fûts du cellier abbatial, fêtes et kermesses de village copieusement arrosées, tumultueuses bamboches de taverne, délicieuses agapes champêtres où des personnages emperruqués lutinent dans l’herbe verte des marquises à la cuisse rose tandis que des bouteilles fraîchissent dans leur panier… La littérature et la peinture nous ont laissé moult images de joyeux videurs de chopines. L’histoire de la consommation du vin, pourtant moins riche que celle de sa production ou de son commerce, ne manque pas de souligner l’importance de cette boisson dans le quotidien de nos ancêtres. Dès le Moyen Âge, le vin semble être un élément clé du quotidien. La liturgie de la communion sous les deux espèces, le pain représentant la chair du Christ et le vin son sang, a renforcé la valeur attachée au vin tout en lui assurant une solide réputation de « reconstituant ». On le consomme donc en grandes quantités, sous forme de boisson bien sûr, mais aussi de produit pharmaceutique ou d’ingrédient de cuisine. Le vin imbibe peu à peu la vie sociale des citadins: la signature d’un marché, un accord de fiançailles, une réconciliation entre amis, se font autour d’une pinte de vin. Comment expliquer sa place privilégiée et croissante dans la société? Où et comment le boit-on jusqu’à la Révolution? Nos aïeux n’étaient-ils donc que des ivrognes ? Autant de taraudantes questions qui laissent la langue altérée et le gosier sec. M Les pouvoirs du vin Une France au teint vermeil 52 Les Cahiers de sCienCe & vie Les Cahiers de sCienCe & vie 53 marigranula-123rF-abbayedelérins-ilest-honoratcannes christiansarramon-hemis.Fr Au Moyen Âge, le vin, massivement consommé, doit satisfaire de nouvelles normes de qualité. Tous ceux qui mettent en valeur les vignobles s’appliquent à les atteindre, qu’ils soient moines, évêques, aristocrates ou bourgeois. Déjà, se profile l’opposition entre vins de Bourgogne et de Bordeaux… Le vignoble français est né au Moyen Âge. Ce fut une époque bénie pour le vin, tout à la fois boisson du peuple et divin breuvage servi aux tables de l’élite… D’abord aux mains des évêques et des moines, le vignoble constitua bientôt un investissement de choix pour les seigneurs, puis connut un fabuleux essor lorsque les villes se mirent de la partie. En quelques siècles, la carte des grandes régions viticoles actuelles prit forme. En parallèle, la massification des débouchés commerciaux entraîna une standardisation de la qualité. Vins de Bourgogne ou de Bordeaux, de Loire ou d’Alsace: tous ont bâti leur réputation sur une histoire millénaire. Aux alentours du XIVe siècle, en Bourgogne et dans le Bordelais, la viticulture constituait déjà un fait socioculturel majeur! Certaines appellations prestigieuses aux noms toujours évocateurs ont alors émergé… En forte régression à l’époque mérovingienne, la tradition viticole française aurait sans doute disparu avec l’Empire romain si elle n’était restée attachée au christianisme. Évêques et moines perpétuent les vignobles antiques pour les nécessités de la liturgie, mais aussi pour leur propre consommation, autorisée avec modération, et pour celle de leurs hôtes. Le vin se transportant mal, ils sont amenés à le produire eux-mêmes. En retour, son commerce prend progressivement une importance économique croissante. « Le vignoble d’origine ecclésiastique se développe partout en France jusqu’aux XIIe et XIIIe siècles », constate Sandrine Lavaud, spécialiste de l’histoire médiévale du vignoble bordelais (université de Bordeaux-III). Le travail agricole s’inscrit dans les règles de vie monastique, les moines devenant les garants de la qualité du vin. Servi à la table des hauts dignitaires, le divin breuvage constitue une marque de prestige. Il est aussi produit dans les domaines de l’aristocratie. Les grands terroirs viticoles sont le fruit d’une construction sociale opérée au fil des siècles. Plus que la terre ou le climat, ce sont les logiques éconode L'art à La sCienCe du vin Sur l’île de Saint-Honorat, les moines de l’abbaye de Lérins perpétuent une tradition médiévale en cultivant la vigne. Dans les graves du Bordelais, la Tour de Saint-Maubert, qui dominait un vignoble seigneurial au XIVe s., a donné son nom au château Latour. LaFrance met le vin à sa carte 102 Les Cahiers de sCienCe & vie Les Cahiers de sCienCe & vie 103 Le monde du vin évolue vite. Depuis le milieu des années 1990, une nouvelle carte géographique se dessine, entraînant avec elle de profondes mutations tant sur le plan de la production que de la consommation. Qu’en sera-t-il à l’horizon 2016? e marché mondial du vin est en essor constant. Il ne connaît pas la crise. Selon le cabinet The International Wine and Spirit Research (ISWR), entre 2007 et 2011, la consommation de vins tranquilles et effervescents a progressé de 2,8 % sur toute la période, pour s’établir à plus de trente-deux milliards de bouteilles. L Entre 2012 et 2016, la croissance attendue serait même de à,3%. Les protagonistes de cette progression sont les États-Unis, la Russie, l’Australie et bien entendu la Chine. En Europe, en revanche, la consommation stagne, voire régresse sous l’effet de la loi Évin pour la France. Certes, l’Hexagone reste le premier marché pour la consommation avec un niveau de à3,2 litres bus par an et par habitant en 2011. Néanmoins, la consommation y baisse régulièrement depuis les années 1970. L’Allemagne et surtout le RoyaumeUni constatent également un recul de l’ordre de 2,73% et 4,07%. L’Espagne chute de 19,67% en cinq ans. En revanche, les quatre marchés qui connaissent la plus forte progression ont écoulé 1,àà milliard de bouteilles supplémentaires entre 2007 et 2011! Les États-Unis sont devenus, en volume, le premier pays consommateur. L’Australie, elle, entre dans le club des dix plus importants amateurs. De son côté, la Chine (en dehors de Hong-Kong) a connu la plus forte progression : 142,1% entre 2007 et 2011. «C’est un marché à fort potentiel, tant sur le plan de la consommation que sur celui de la production», affirme Xavier de Eizaguire, ymyik ;epa ;corbis LLa consommation s’est étendue sur l’ensemble des continents. Ci-contre, la foire internationale du vin et des spiritueux de Hong-Kong de 2010. Les pouvoirs du vin Le bel avenir du vin ! 28 Non seulement nos ancêtres les Gaulois appréciaient le vin, mais ils étaient d’excellents vignerons. À partir du IIe siècle se dessine la carte de nos grands vignobles. 52 Le vignoble français, avec l’excellence qui le caractérise, s’est développé au Moyen Âge. Moines, évêques, aristocrates et bourgeois étaient alors à l’œuvre. Dès le Moyen Âge le vin est un élément clé du quotidien. Il imprègne peu à peu la vie sociale des citadins. 22 Grecs et Romains ont porté l’art de la vinification au plus haut de degré de la sophistication. Aliment de base chez le peuple, le vin était l’objet de tous les raffinements chez les élites. 102 La consommation du vin ainsi que sa production s’envolent. Si la France reste leader, d’autres pays, comme les États-Unis, ont désormais acquis de solides positions. Recevez Les Cahiers de Science & Vie chez vous. Votre bulletin d’abonnement se trouve en page 85, la vente par correspondance en pages 100101. Vous pouvez aussi vous abonner par téléphone au 01.46.48.47.87 ou par Internet sur http://www.kiosquemag.com. Un encart abonnement est jeté sur les exemplaires de la vente au numéro. Diffusion : France métropolitaine, Suisse, Belgique. Un encart Boutique S&V Big questions est jeté sur les exemplaires de toute la diffusion abonnée France Métropolitaine. 72 Erratum : une regrettable erreur est survenue dans un article de notre dernier numéro consacré au paradis et enfer, le rendant incompréhensible. L’article est disponible, dans sa bonne version, sur notre site Facebook. Toutes nos excuses à nos lecteurs et bienvenue à nos nouveaux amis. Vin Aux sources du et de l’ivresse 60 Les Cahiers de sCienCe & vie Les Cahiers de sCienCe & vie 61 Par l’expérimentation, ces trois savants recherchent l’amélioration de la production du vin et de sa qualité : l’agronome Olivier de Serres, l’agronome et botaniste abbé Rozier, le chimiste JeanAntoine Chaptal. r.classen-shutterstock chateaudeversailles,dist.rmn-grandpalais/selva-leemage/bianchetti-leemage Durant des millénaires, le vin fut l’affaire des vignerons qui, dans le secret de leur cave, élaboraient de manière empirique ce nectar des dieux. Le développement des sciences et du savoir va, à partir du XVIIe siècle, permettre de lever le mystère de la vinification et faire entrer cet art dans la science. De l’Antiquité à la fin du Moyen Âge, les vignerons et autres clercs en charge de la production du vin ont focalisé leur attention sur la vigne. La raison en est peut-être l’aspect symbolique accordé au cep, qui représente pour les chrétiens la résurrection et la vie éternelle, alors que le vin est le sang du Christ. Pourtant, depuis ses origines, l’élaboration du vin n’a cessé d’intriguer. Au Ier siècle apr. J.-C., le Romain Lucius Columelle décrivait dans De l’agriculture les techniques vinicoles ou encore la question de l’aromatisation ou de la concentration des vins. Mais les étapes de transformation du raisin en vin restent un mystère. Pendant longtemps, savants et vignerons ont observé cette réaction chimique qui est une fermentation alcoolique, sans en percer les secrets. Il faut attendre le début du XVIIe siècle pour que la vinification devienne la cible de recherches. Plus qu’une curiosité scientifique, c’est avant tout un besoin politique qui pousse l’élite de la Renaissance à s’y intéresser. La puissance économique française repose alors sur l’agriculture et le commerce de ses produits, en particulier le vin, très apprécié en Europe du Nord. Sully, ministre d’Henri IV, incite l’agronome Olivier de Serres à se pencher sur la qualité et la production des vins afin de répondre à la demande. Ce fervent protestant est un précurseur. « Il est l’un des premiers à étudier de manière scientifique les techniques agricoles et à rechercher l’amélioration par l’expérimentation », rapporte l’agronome JeanClaude Martin. En 1600, Olivier de Serres publie le premier manuel de viticulture, le Théâtre d’agriculture et mesnage des champs. Il y expose les fondements d’une agronomie réfléchie et rigoureuse en s’intéressant au climat, au sol et au cépage. Il en conclut que « le climat et le terroir, selon leurs propriétés, donnent le goût et la force du vin, de telle façon qu’il est nullement possible de réduire en certaines espèces les diversités de vins. D’autant qu’un même plant de vigne, mis en divers lieux, produira autant de différentes sortes de vins, qui diversement seront logés ». De ses expériences et observations, il Comment la science élève le vin de L'art à La sCienCe du vin 94 Les Cahiers de sCienCe & vie Les Cahiers de sCienCe & vie 95 Des buveurs célèbres Toutânkhamon, le pharaon œnophile À la santé de Charlemagne ! Salomon, le roi ivre d’amour De Toutânkhamon à Sigmund Freud, nombreuses sont les personnalités qui ont développé l’art de cultiver le vin… ou de le boire. Si le roi Salomon fut ivre d’amour, Charlemagne se montra beaucoup plus terrien en veillant scrupuleusement sur ses récoltes. Quant à Mozart, le vin l’accompagna parfois plus que de raison lors de ses créations. Dans une coupe ou dans un verre, à chacun sa façon de bien boire. Pascale Desclos akg-images;erichlessing/cuboimages;leemage ;cultnat,dist.rmn-grandpalais ;aymankhoury leemage /gusman;leemage/philipperoy;epicureans C omme chaque pharaon, Toutânkhamon (1345-1327 avant J.-C.) possédait sa propre vigne, dont la production était utilisée pour la table royale et les rites funéraires. il ne régna que neuf ans, sous le nouvel empire. Mais son tombeau, découvert dans la vallée des rois en 1922, a apporté des informations capitales sur la viticulture en Égypte ancienne. il contenait 26 amphores à vin, dont 12 en bon état, portant des indications, telle celle-ci : « Quatrième année. Vin de très bonne qualité du domaine d’Aton sur les bords de la Rivière occidentale. Maître de chai : Khay ». Tous les vins, à l’exception d’un seul, provenaient de l’ouest du delta du nil, de deux domaines appartenant l’un à Toutânkhamon, l’autre au temple d’aton. en 2005, les chercheurs ont établi que les amphores de la tombe contenaient du vin blanc, du shedeh (préparation à base de raisin noir) et du vin rouge. À présent, ils s’interrogent sur la disposition de ces amphores dans la chambre funéraire, placées sous la fresque des douze babouins : vin blanc à l’est, shedeh au centre et vin rouge à l’ouest. Ces douze babouins divinisés représentent les douze heures de la nuit que le pharaon et le soleil doivent traverser avant de renaître à l’aube. Le vin rouge (positionné à l’ouest, où le soleil se couche) ne pourrait-il pas symboliser l’état de mort, et le vin blanc (positionné à l’est, où le soleil se lève), l’état de renaissance ? Ce ne sont bien sûr que des supputations, qui ouvrent de nouvelles pistes sur le rôle symbolique du vin dans les rituels funéraires égyptiens. C ultivé en cépage chardonnay sur trois communes de Côted’Or, le Corton-Charlemagne est un des rares grands crus blancs de Bourgogne. il tient son nom de l’empereur franc Charlemagne (742814), qui fit don de ce domaine viticole à la collégiale saint-andoche de saulieu en 775. selon la légende, ce géant de 1,84 m, grand amateur de vin, aurait fait planter cette parcelle de cépages blancs pour ne pas tacher sa barbe « fleurie » (de flori, blanc en vieux français). À vrai dire, aucune miniature d’époque ne représente Charlemagne avec une barbe. Mais La Chanson de Roland, poème épique du Xie siècle, a marqué les esprits en lui en attribuant une, à la manière des patriarches. Plus sérieusement, Charlemagne veillait en grand propriétaire terrien à ses vignobles et ses celliers. Outre les terres de Corton, il possédait par exemple des vignobles près de Geissenheim, en allemagne, autour d’eguisheim en alsace ou aux alentours d’angers. Tous les ans, l’empereur exigeait d’être informé des ressources de chaque exploitation par ses quelque 600 intendants. d’après le capitulaire de villis, il se faisait détailler les quantités, mais aussi les qualités de « vin de mûres, de vin cuit, d’hydromel, de vinaigre, de vin nouveau et de vin vieux de plus d’une année ». Une manière de faire respecter son droit de banvin qui lui conférait, chaque automne, priorité de vente sur les autres récoltants. S uite de chants entre un homme et une femme, le Cantique des cantiques exalte l’amour humain, comparé au plaisir du vin. selon les historiens, ce poème intégré au ier siècle à l’ancien Testament évoque par sa langue et son style l’époque perse (ve-ive siècle av. J.-C.) ou hellénistique (iiie siècle av. J.-C.). Mais la tradition l’attribue au roi salomon (970-931 av. J.-C., selon la chronologie biblique), et à la sulamite, une jeune bergère réputée pour sa beauté. dans ce cantique, vigne et vin brodent d’éblouissantes variations sur le désir : « Ton nombril forme une coupe, où le vin ne manque pas » (Ct vii 3). Ou plus loin : « Tes seins, qu’ils soient des grappes de raisin ; Tes discours, un vin exquis ! » Le Livre des rois donne une vision idyllique de l’âge d’or de salomon, « sage parmi les sages », qui fait régner une paix symbolisée par la vigne : « Juda et Israël habitèrent en sécurité, chacun sous sa vigne, durant tous les jours de Salomon » (1 r, iii). en revanche, le fils du roi david condamne fermement l’ivrognerie : « Raillerie dans le vin ! Insolence dans la boisson ! Qui s’y égare n’est pas sage » (Pr, XX, 1). il se méfie particulièrement de l’ivresse en présence d’une femme : « Près d’une femme mariée, garde-toi bien (…) de t’attabler pour des beuveries, de crainte (…) que dans ta passion tu ne glisses à ta perte » (eccl. iX, 9). sans doute une manière de rappeler que l’homme saoul risque de transgresser les interdits religieux sexuels, comme coucher avec son épouse pendant ses règles ou commettre l’inceste. Les POUvOirs dU vin « Ton nombril forme une coupe, où le vin ne manque pas » SOMMAiRE AUx oRIGINeS DU vIN 16 Premières vendanges Jean-Philippe Noël 22 Grecs et Romains Bacchus s’invite à toutes les tables Nassera Zaïd 28 Les Gaulois Ce nectar qui élevait nos ancêtres Émilie Formoso LeS ReLIGIoNS DU LIvRe et Le vIN 36 Judaïsme Le raisin, fruit de la Terre promise Pascale Desclos 40 Christianisme « Ceci est mon sang…» Pascale Desclos 46 Islam En attendant le Paradis Stéphane Dubreil 06 CaDrage Une histoire aux multiples rameaux Sylvain Ouchikh 12 Interview: Jean-Robert Pitte « Le vin est si merveilleux que son origine ne peut être que divine » Denis Delbecq Remerciements à Laurent Bouby, ingénieur de recherche au Centre de bio-archéologie et d’écologie (CNRS-université de Montpellier-II.) 94 Ils ont aimé le vin et ils ont pour nom toutânkhamon, Salomon, Charlemagne, Mozart, Freud… À partir du xvIIe siècle, la science se penche sur les méthodes de vinification et de conservation du vin. Celui-ci gagne en qualité. No 140 • Octobre 2013 60 Verre :S.lupton-corbiS/grappe :brunomallartpourleScahierSdeScience&Vie De L’ARt À LA SCIeNCe DU vIN 52 La France met le vin à sa carte Marielle Mayo 60 Comment la science élève le vin Karine Jacquet 66 La révolution anglaise Philippe Testard-Vaillant LeS poUvoIRS DU vIN 72 Une France au teint vermeil Christophe Migeon 79 La politique investit le vin Jean-François Mondot 86 De l’ivresse à l’alcoolisme Nicolas Chevassus-au-Louis 92 Boire est-il dans nos gènes? Román Ikonicoff 94 Des buveurs célèbres Pascale Desclos 102 Le bel avenir du vin! Sylvain Ouchikh 6 Les Cahiers de sCienCe & vie La vigne est source d’inspiration: l’Automne d’Arcimboldo, XVIe s. ; à dr., un sarment vu par le photographe Michel Joly. Depuis la fin du XIXe siècle, le vignoble français et mondial a profondément évolué. D’abord sous l’influence d’un puceron ravageur, puis par les avancées technologiques induites par l’homme dans sa recherche d’excellence. On a mieux encadré le travail des viticulteurs par des normes, mieux appréhendé les cépages, les crus… Chaque jour le vigneron a appris à domestiquer davantage cette liane vivace qu’est la vigne afin d’enrichir nos verres de tous les arômes. rmn-grandpalaismuseedulouvre-gérardblot Par Sylvain Ouchikh Cadrage Une histoire aux multiples rameaux Les Cahiers de sCienCe & vie 7 joly-andia.fr Les soins que le vigneron prodigue à la vigne s’adaptent au cycle végétal et aux conditions climatiques. Le rythme des activités s’accélère dans les cent jours qui séparent la floraison de la vendange. 8 Les Cahiers de sCienCe & vie Une famille très indisciplinée La vigne est un arbrisseau grimpant appartenant à la famille des Vitaceae. Elle est représentée par plus de 70 espèces appartenant au genre Vitis. C’est l’espèce Vitis vinifera qui se prête le mieux à l’élaboration du vin en raison de la teneur en sucre élevée et de l’acidité de ses baies. La plante s’accroche à tous les supports comme n’importe quelle liane et peut grimper jusqu’à plusieurs dizaines de mètres. Il est donc nécessaire de la domestiquer afin qu’elle donne le meilleur d’elle-même. Le passage de la vigne sauvage (Vitis vinifera sylvestris) à la vigne cultivée (Vitis vinifera sativa) serait intervenu à la fin de l’âge de pierre, de 7000 à 5000 avant notre ère. Une domestication non intuitive Les tout premiers vignerons durent, en toute logique, sélectionner d’abord les plants les plus productifs. La vigne sauvage portant rarement des fleurs mâles et femelles sur le même pied, il est vraisemblable qu’ils commencèrent par isoler les plantes femelles, qui donnaient deux fois plus de fruits que les plantes hermaphrodites. Mais, séparées des plantes mâles, cellesci devinrent vite improductives. Ils durent donc sélectionner, dans un second temps, les plantes bissexuées. Rare à l’état naturel, le caractère génétique de l’hermaphrodisme s’imposa donc artificiellement au sein de la vigne cultivée. Selon toute probabilité, la pratique de la taille a été adoptée lorsque l’on constata que les plus beaux fruits poussaient sur les ceps en partie broutés par des animaux. Le coup de main La taille se fait en hiver. Au printemps vient le temps du labourage et du cerclage. Les bourgeons éclosent, c’est le débourrement. Le vigneron palisse pour éviterquelefeuillagefassedel’ombreaux grappes. La maturation du raisin en est favorisée. Huit semaines après, les fleurs apparaissent,suiviesdesbaiesunedizaine dejoursplustard.Àcestade,laréduction desgrappesaurapoureffetd’enaméliorer la qualité. La vendange intervient généralement en septembre, une centaine de jours après la floraison. Puis vient l’éraflage, la séparation des grains de la rafle, et le foulage, qui ouvre la peau des grains pour faciliter la pénétration des levures dans le jus. La vinification commence. anaka-ip3/weber,inge-stockfood Cadrage Les Cahiers de sCienCe & vie 9 Du raisin au vin Nombreux sont les fruits susceptibles d’être utilisés pour élaborer des boissons alcoolisées. Pourquoi la plupart des sociétés humaines ont-elles privilégié le raisin ? D’abord en raison de sa forte teneur en sucre – de 15 à 18 g pour 100 g – qui en fait l’un des fruits les plus sucrés qui soient. Lors du processus de vinification, les sucres présents dans le moût vont fermenter sous l’action des levures. Ces champignons microscopiques présents à l’état naturel sur les sols et sur la peau des raisins (« la pourriture noble ») transforment les sucres fermentescibles en alcool éthylique. Autre avantage: la présence d’acides qui donnent au vin de la rondeur, celle des tanins qui lui confèrent son astringence, les deux contribuant à l’extrême variété de ses faveurs. Son bouquet, ses arômes se modifient aussi selon les plants, le mode de culture, le climat, la vinification, mais aussi l’exposition, la nature, le drainage et l’aération des sols. À des périodes plus récentes, lorsque les processus de vinification ont été parfaitement maîtrisés, un facteur supplémentaire a joué un rôle décisif en faveur du vin : sa capacité à évoluer dans le temps, à bien vieillir. Ce mal qui rongea la vigne Nous sommes en 1863. Dans les vignobles de Pujaut, dans le Gard, les sarments et les feuilles se dessèchent, provoquant la mort des ceps. En 1867, le régisseur d’un domaine situé près d’Arles se plaint lui aussi que ses vignes se meurent d’une maladie nouvelle qu’il ne parvient pas à identifier. Cinq ans plus tard, le fléau atteint le Languedoc, le Bordelais, la Bourgogne… Il mobilise chercheurs et hommes politiques. Jean-Émile Planchon, un botaniste dépêché sur place, écrit dans un compte-rendu pour l’Académie des sciences : « Quelque peu agréable que soit le rôle de prophète de malheur, il est de notre devoir de faire connaître la pénible impression que nous rapportons de Provence, et de sonner le tocsin d’alarme... Le mal est déjà immense, il a un caractère contagieux auquel on ne peut se méprendre, et si le fléau ne disparaît pas comme il est venu, si un remède prompt et énergique n’est pas trouvé, avant dix ans, la Provence n’aura plus une seule vigne ... » Au début des années 1880, les trois quarts du vignoble français ont disparu! Le coupable est identifié. Il s’agit de Phylloxera vastatrix, un minuscule puceron originaire des États-Unis. Après des années de recherche, les scientifiques de l’époque trouvèrent enfin le moyen d’enrayer l’épidémie. Ils décidèrent de greffer les vignes sur des pieds américains choisis pour leur capacité à résister au puceron. L’ensemble du vignoble, soit 1740000 ha, dut donc être arraché puis greffé. La Bourgogne saisit l’occasion pour replanter son cépage blanc en chardonnay au détriment de l’aligoté, jugé moins noble et moins complexe. Entre 1885 et 1895, un nouveau vignoble fut implanté en France. Très vite, il prit de la vigueur. Dès les années 1900 -1909, 57 millions d’hectolitres de vin furent produits contre 53 millions en moyenne avant l’arrivée du phylloxéra. Les vignerons durent adapter leur travail à de nouvelles pratiques viticoles. Car si le remède s’est révélé efficace, pour autant aucun traitement définitif n’a permis d’éradiquer le puceron indésirable. Aujourd’hui encore, on continue de greffer les plants. Car l’insecte est toujours présent dans la vigne. Si un viticulteur souhaitait revenir à des plants originels, sans porte-greffe, ses ceps subiraient tôt au tard ses assauts fatals. La taille intervient en hiver, pendant le «sommeil» de la vigne (miniature du XVIe s.) bnf,distrmn-grandpalais-imagebnf/fototeca-leemage/wildlife-andia le plant, le climat, le mode de culture donnent l’arôme Le puceron phylloxéra failli éradiquer, au XIXe s., la vigne française. 10 Les Cahiers de sCienCe & vie Les vins de Bourgogne, connus depuis le Moyen Âge, sont célèbres pour leur qualité exceptionnelle bâtie sur un cépage particulier: le pinot noir. glossaire ❖❖Anthocyanes : Pigments situés dans la pellicule des grains du raisin noir qui donnent au vin sa couleur rouge. ils ont un pouvoir antioxydant reconnu et auraient des vertus contre les maladies cardiovasculaires, d’où la notion de french paradox. ❖❖Assemblage : Cette technique consiste à mélanger des vins issus de différents vignobles ou de différentes parcelles. Le Bordelais ou la Champagne sont des vignobles qui pratiquent l’assemblage. après la vinification ou l’élevage, le vigneron pratique son assemblage afin de constituer sa cuvée définitive. ❖❖Cépage : C’est la variété du raisin. il détermine le goût, la couleur et la texture du vin. ❖❖Chaptalisation : Ce procédé qui consiste à ajouter du sucre au moût pour augmenter le taux d’alcool est utilisé par les vignerons depuis le Xviiie siècle. dixsept grammes de sucre par litre de moût permettent d’obtenir un degré supplémentaire d’alcool. ❖❖Fermentation : Processus chimique naturel au cours duquel le sucre du jus de raisin se transforme en alcool. deux phases : la première, la fermentation alcoolique, est la transformation du sucre en alcool❖; la seconde, la fermentation malolactique, est la transformation de l’acide malique en acide lactique. elle rend le vin plus souple. ❖❖ Terroir : ce terme ne désigne pas la terre mais un ensemble de facteurs qui comprend à la fois la géologie, la topologie, le climat et le vigneron. ❖❖Vinification : ensemble des techniques permettant de transformer le moût. La France I l existe environ six mille variétés de cépages à travers le monde. Cinq cents d’entre eux génèrent la quasi-totalité du vin produit. Pour le vigneron, le cépage est une variété. Il se distingue par sa feuille, ses baies, ses formes et ses couleurs de grappes. Il suffit de comparer des ceps de pinot noir et de pinot gris pour s’en convaincre. Mais pour l’ampélographe [nom donné aux scientifiques qui étudient les cépages] le pinot noir et le pinot gris ne sont que deux variantes du même cépage puisqu’ils possèdent le même ADN. Chaque cépage (pinot noir et pinot gris) provient de la même bouture d’origine. Tous les plants de ce cépage descendent de la même graine, ou en sont issus par bouturage ou greffage. Le consommateur, lui, notera surtout les parfums et les goûts propres à chaque variété. Des notes fruitées de cerise noire et de prune pour le cabernet-sauvignon dans sa jeunesse, des arômes de fleurs blanches, de fruits à chairs blanches comme la pêche pour le chardonnay de la région bourguignonne… Principaux cépages dont on tire la quasitotalité des vins JRouge : zinfandel, tempranillo, syrah, sangiovese, pinot noir, nebbiolo, merlot, grenache noir, cabernet-sauvignon. JBlanc : viognier, sémillon, sauvignon blanc, riesling, muscat, gewürztraminer, chenin blanc, chardonnay. AOC: Appellation d’origine contrôlée La qualité des vins français doit beaucoup à la mise en place, en 1935, des appellations d’origine contrôlée. Cette année-là, Joseph Capus, député de Gironde, dépose au Sénat une proposition de loi sur la fondation d’un« Comité national des appellations d’origine des vins et des eaux-de-vie ». Le collège composé d’experts aura pour mission de fixer des règles très strictes pour l’obtention du label AOC. Ce dernier sera le garant des pratiques viticoles permettant à chaque région de respecter les typicités régionales des vins. En 2011, l’Institut national des appellations d’origine (INAO) en renforce les exigences: « Auparavant les cahiers des charges étaient très hétérogènes, désormais ils ont les mêmes têtes de chapitre, comme l’encépagement, les modes de conduite de la vigne, les points à contrôler, ou encore la hauteur de feuillage, l’aire géographique ». En conséquence, le nombre de ses AOC dans le secteur du vin fut revu à la baisse. Il est désormais de 357 contre environ 450 auparavant. Les Cahiers de sCienCe & vie 11 des cépages peterhorree-alamy-photo12/marijankocijan-123rF Rouge: cabernet franc, gamay, cabernetsauvignon, pinot noir. Blanc: chenin, melon sauvignon, … Chardonnay, pinot noir, pinot meunier. Rouge: merlot, cabernet franc, cabernet-sauvignon, … Blanc: sémillon, sauvignon… Rouge: pinot noir. Blanc: chardonnay, aligoté… Rouge: gamay Blanc: chardonnay Rouge: cabernetsauvignon, cabernet-franc, merlot… Blanc: sauvignon, sémillon, ugni blanc, colombard… Rouge: syrah, grenache, mourvèdre, cinsault… Blanc: grenache, clairette viognier, bourboulenc… Rouge: carignan, cinsault, grenache, syrah, mourvèdre, cabernet, sauvignon, merlot… Blanc: clairette, roussanne, marsanne, ugni blanc, bourboulenc, viognier, chardonnay… Rouge: syrah, grenache, mourvèdre, cabernetsauvignon… Blanc: clairette, sémillon, ugni blanc… Rouge: pinot noir, gamay. Blanc: auxerrois… Blanc: gewurztraminer, riesling, pinot gris et blanc, muscat… Blanc: savagnin Rouge: poulsard, trousseau, pinot noir… Rouge: mondeuse, poulsard, pinot noir, gamay… Blanc: altesse, jacquère, chardonnay, molette… Rouge: mondeuse, gamay, persan… Blanc: jacquère, altesse, roussane, chasselas, chardonney, gringet… Rouge: sciaccarellu, niellucciu Blanc: vermentinu… Vallée de la Loire Champagne Bordeaux Bourgogne Beaujolais Sud-Ouest Vallée du Rhône Languedoc-Roussillon Provence Lorraine Alsace Jura Bugey Savoie Corse Cadrage 12 Les Cahiers de sCienCe & vie Le vin est si merveilleux que son origine ne peut être que divine ProPos recueillis Par Denis Delbecq - Photos olivier roller Interview de Jean-Robert Pitte
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LES CAHIERS DE SCIENCE VIE n°140 - Page 9
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