LES CAHIERS DE SCIENCE VIE n°126 - Page 1 - E n i Institut Khéops 201 1-2012 > Égyptien hiéroglyphique > Cours par correspondance > Néo-égyptien, hiératique > Ptolémaïque, copte, grec ancien > Histoire, religion, archéologie et r art de l'Egypte ancienne > Cycle spécial "expositions" Égypte, Grèce et Orient anciens 42-44 rue du Fer à Moulin 75005 Paris tél : 01 44 24 87 90 fax : 01 44 24 88 04 kheops@egypt.edu http//www.kheops-egyptologie.fr > Akkadien et cunéiforme > Histoire, histoire de l'art, civilisation de la Grèce et de l'Orient anciens > Arabe dialectal égyptien > Voyages d'étude en Égypte Statues privées de la fin de l'Egypte pharaonique ® musée du Louvre / Khéops 2011 65,00 € Cours d'égyptien hiéroglyphique Pierre Grandet - Bernard Mathieu • • m ® Khéops 2008 64,50 € h Q H A S j MSMA j j | O M W r î | Ce Nil qui fit I et défit les pharaons La chose n'avait pas échappé à l'œil averti d'Hérodote: L'Égypte est un don du Nil, écrivait l'historien grec il y a 2500 ans. De fait, si le puissant fleuve ne permit pas d'emblée aux hommes de s'installer sur ses berges où croupissait un vaste marigot insalubre, il devint, à partir du milieu du IVe millénaire avant notre ère, la source de toute vie. Mais il fut bien plus que cela: sa crue nourricière qui fertilisait les terres chaque année favorisa l'émergence et la prospérité de l'extraordinaire civilisation des pharaons. D'un point de vue économique, certes. Mais une inondation généreuse ne se traduit pas uniquement en occupations journalières, en rentrées financières, en ventres bien nourris. La société dans toutes ses dimensions s'en imprégna. La crue posait un cadre temporel: le calendrier égyptien se cala sur sa périodicité. En imposant aux arpenteurs cent fois sur le métier de remettre leur ouvrage, elle donna une impulsion décisive à la géométrie. Elle stimula le génie civil en lançant des défis aux ingénieurs et aux bâtisseurs, qu'il s'agisse de juguler les excès ou d'en détourner le cours. Le Nil lui-même alimenta les grands mythes, s'insinua jusque dans le sacré, inspira artistes et poètes. Omni- présent, il se mêla de politique, astreignit à une gouvernance rigoureuse et organisée pour la gestion de ses ressources, fit et défit parfois les pharaons. Ses eaux charrient bien des symboles et des clés pour comprendre cette culture, son lit recèle encore bien des trésors engloutis, que l'exploration archéologique fluviale commence seulement à découvrir. Et en ces temps agités que connaît l'Égypte, malgré le gel momentané des fouilles, le ralentissement des missions, l'Histoire continue de se dévoiler au jour le jour. I.B. Ci-dessus, le Nil des pharaons en hiéroglyphes (traduit et dessiné par Joël Bertho) COUVERTURE AMON-RÊ:ALFIO GAROZZO; ASSOUAN: RENÉ MATTES-HEMIS.FR CARTE DE LA VALLÉE DU NIL: JEAN CLAUDE GOLVIN - MUSÉE DÉPT. ARLES ANTIQUE • ED. ERRANCE. SCIENCE VIE CAHIERS SOMMAIREN°126 DÉCEMBRE 2011Recevez les Cahiers île Science & Vie chez vous. Voire bulletin d'abonnement se trouve en page 74. la vente par correspondance eu pages 110-111. Vous pouvez aussi vous abonner par téléphone au 01.46.48.47.08 ou par Internet sur lMp//www.kiosi]uemag.com/ Un encart abonnement est jeté entre deux cahiers sur les exemplaires de la vente au numéro. Diffusion: France métropolitaine. Suisse. Belgique, l'n encart Encart Boutique Science & Vie est jeté sur les exemplaires de toute la diffusion France Métro. Un encan Guerre et Histoires est /été sur les exemplaires de toute la diffusion abonnée France Métro. Un encart Editions Atlas (Rois de France! est jeté sur les exemplaires de toute la diffusion France Métro. • Le Nil source du divin 6 0 > Une croisière de trois millénaires Jean-Philippe Noël Cadrage 6 > Le Nil La quête des origines Jean-François Mondot 12 > Un fleuve au profil tourmenté Fabienne Lemarchand 20 > « Le Nil et sa vallée ont structuré la pensée égyptienne » Interview de Dominique Valbelle par Jean-François Mondot • Le Nil source de vie 2 4 > Le Nil dans la vallée 6 6 > « Hymne au Nil ». Extraits 6 7 > Aux sources de la pensée égyptienne Coralie Hanœk 68 > Pharaonfilsdu Nil Christophe Migeon 7 4 > La crue, œuvre collective des dieux Philippe Testard-vaillant 80 > Thèbes, la faiseuse de rois Alain Le Roch Claire Charpy 2 9 > Memphis Un défi colossal pour Pharaon Morgane Kergoat 88 > Le sacré fait carrières Marielle Mayo 9 6 > Egyptiens en terre de Nubie Marie-Amélie Carpio • D'hier à aujourd'hui 1 0 4 > Quand les dieux déménagent Pascale Desclos 3 4 > Les forçats du fleuve 4 1 > Mort sur le Nil 4 6 > Du génie pour dompter le Nil Rafaële Brillaud Anne Debroise Eric Hamonou Nous tenons à remercier Claude Traunecker pour sa contribution à la réalisation de ce numéro. 5 3 > Des navires démontables Anne Lefèvre-Balleydier 112 > «Je ne^crois pas à un conflit entre Etats, aujourd'hui, pour le contrôle de l'eau» Interview de Frédéric Lasserre par Jean-François Mondot > Dépliant: le Nil et ses monuments Autour du Nil s'est développée l'une des plus anciennes et des plus étonnantes civilisations. Où le fleuve prend-il sa source? Le remonter jusqu'à son origine, c'est ni plus ni moins ouvrir les portes secrètes du monde des pharaons. La question, toujours d'actualité car non entièrement résolue, a fait et fait encore rêver. La quête de l'origine a vraiment débuté au xixe siècle. Cette formidable aventure a pris la forme d'expéditions, menées par des explorateurs habités par la passion de l'Égypte. Le tracé du cours du Nil est aujourd'hui presque entièrement connu. Mais ce presque continue d'alimenter les imaginations. A U X S O U R C E S D U N L L Alexandrie o Le Caireo Jérusalem Assiouto É G Y P T E Assouan o 1" cataracte — 2e cataracte x Djedda cataracte \ DE NUBIE Port-Soudan ^ 5e cataracte o Atbarah 6' cataracte Omdurman %Karthoum J ' w i s i ERYTHRÉE Massaoua o Asmara El-Obeid CO S O U D A N Lac Tana oGondar Addis-Abeba É T H I O P I E o Djimma Isiro pGulu Lac - Turkana Lac • ••/ RÉP.DÉM. DU CONGO OUGANDA Kampala o Édouard Lac/? K i v u y Forêt Nyungwet Bujumbura« BURUN« %s V Î cac Victoria ""-.. oMwanza K E N Y A o Nairobi Monts Gikizi T A N Z A N I E Mombasa v Tanga o Lac Tanganyika _„,. Zanzibar oDodoma q Dar es-Salam Lac,/ Moero Llkasi o o Lubumbashi oMbeya ZAMBIE Lac Malawi.- MOZAMBIQUE Le Nil, long de plus de 6600 kilomètres, est tradition- nellement connu pour prendre sa source au lac Victoria, il semble aujourd'hui que son origine est plus lointaine, quelque part dans la forêt du Rwanda. L a fascination des fleuves est universelle, rappelle le philosophe Michel Le Bris. « Les fleuves captivent l'imagination parce qu'ils débouchent sur la mer, c'est-à-dire l'horizon, le lointain, l'inconnu. Par ailleurs, lorsqu'on remonte un fleuve, on a l'impression de revenir vers l'origine des temps. Ainsi, en amont du fleuve comme en aval, le voyageur se retrouve confronté à l'infini... ». Mais avec le Nil, c'est encore autre chose : « Les grandes explorations du XIXe siècle se produisent au moment où l'on a pris conscience des richesses fabuleuses de l'histoire égyptienne. Tout au long du siècle s'enracine l'idée que l'Egypte est une autre Athènes, ou une autre Rome. Par conséquent, remonter le Nil vers sa source mystérieuse, c'est se donner une chance de pénétrer les arcanes de cette civilisation », explique le chercheur français. C'est ainsi que la localisation des sources du Nil devint « le plus grand secret géographique depuis la découverte de l'Amérique », selon les mots du géographe anglais Harry Johnston. A la fin du XIXe siècle, la persévé- rance des explorateurs européens finit par payer. Le cours supérieur du Nil, enfin, se dévoile. On passe progressivement du rêve à la cartographie. Aujourd'hui, le tracé du Nil est connu à 99 %. Pourtant, le 1 % qui reste suffit à enflammer les imaginations. En témoignent plusieurs expéditions récentes: en 2005, une équipe sud-africaine formée par Henry Coetze et Peter Meredlth affirme avoir trouvé la source la plus lointaine du Nil dans la forêt de Nyungwe au Rwanda, après avoir remonté la rivière Kagera. L'année suivante, une autre équipe britannique conteste ces résultats. Elle situe la « vraie » source dans cette forêt, mais sur une autre rivière... Nul doute que ces résultats auraient enthousiasmé tous ceux qui, depuis l'Antiquité, se sont interrogés sur l'emplacement mystérieux des sources du Nil. Des savants grecs, romains, arabes se sont passionnés pour cette question, sans autre résultat que d'invérifiables rumeurs: sur la carte de Ptolémée, au IIe siècle de notre ère, on trouve des monta- gnes enneigées au pied desquelles des grands lacs donnent naissance au Nil. Au xxe siècle, l'encyclopédiste arabe Al-Masudi le mentionne également. Mais tout cela reste vague et peu précis. Les choses en resteront là jusqu'au XIXe siècle. La persistance de ce mystère pendant des siècles et des siècles a quelque chose d'étonnant. Elle s'explique par la longueur du cours du Nil (plus de 6600 kilomètres) et par les difficultés que rencontrent ses navigateurs: pour le remonter, il faut franchir six cataractes, de périlleuses zones de rapides. Ensuite, aux environs de la ville actuelle de Khartoum, le Nil se divise en deux. D'un côté le Nil Blanc, de l'autre le Nil Bleu. Où se trouve donc la branche la plus longue? Pendant longtemps, les explorateurs se sont dirigés du côté du Nil Bleu, dont le débit est supérieur. En 1770, l'Écossais James Bruce en relève le cours jusqu'à sa source dans les montagnes d'Abyssinie, au sud du lacTana. Le Nil Blanc garde beaucoup plus jalousement ses secrets. Au sud de Khartoum, son cours est régulier le long des 800 kilomètres de traversée du désert. Mais il débouche ensuite sur une zone de marécages, vaste comme l'Angleterre: le Sudd. C'est une mer de papyrus et de végétation pourrissante. Les moustiques y pullulent, les crocodiles ne sont jamais loin. En plus d'être pestilentiel, ce marécage se révèle labyrinthique. Où trouver la sortie? De multiples cours d'eau y serpentent, à moitié recouverts par la végétation. Il faut choisir le bon, qui s'avère être le Bahr el-Gebel. Il mène au village de Gondo- koro. Après quoi, le Nil n'est plus navigable. Pour le suivre, il faut s'enfoncer dans une jungle inextri- cable, dont personne ne revient... A partir de la seconde moitié du xixe siècle, les explorateurs choisis- sent un autre itinéraire. Plutôt que de remonter le Nil, ils décident de passer plus au sud, à partir de Zanzibar, archipel de l'océan Indien situé en face de la Tanzanie actuelle, ils espèrent, en coupant ainsi par le centre de l'Afrique, tomber enfin sur ces fameux lacs où l'on a localisé, dit-on, les sources du Nil. Cela Implique de traverser des régions africaines qui sont alors de véritables terra incognita, et qui correspondent à la Tanzanie et l'Ouganda actuels. Toute cette zone est fréquentée par les marchands arabes, qui y prélèvent des esclaves pour le compte notamment du sultan de Zanzibar. Pour eux, les voyageurs européens sont des concurrents, voire des menaces, à partir du moment où les campagnes pour l'abolition de l'esclavage se développent. Loin de les aider, ils cherchent donc à les égarer. Chantai Edel, qui a rassemblé et commenté les récits des princi- paux explorateurs (Le Nil aux sources du mystère) écrit que « les trafiquants d'esclaves sont les véritables gardiens des sources du Nil ». Ainsi, c'est en passant par le sud, malgré les dangers liés à ces trafiquants, aux épidémies, aux maladies de tous ordres que les explorateurs de la fin du XIXe siècle vont progresser dans la connaissance du fleuve. Ils ont pour noms John Hennings Speke, Richard Francis Burton, David Livingstone, Henry Stanley, Samuel William Baker. Ils s'embarquent pour des expéditions qui dureront deux ou trois ans, parfois plus, et dont ils ne sont pas sûrs de revenir. C'est leur action conjointe qui va permettre d'élucider l'origine du fleuve. Les premiers explorateurs Richard Burton et John Speke mènent la première grande expédition en 1857. Leurs personnalités sont très dissemblables. Richard Burton est un brillant intellectuel maîtrisant une quarantaine de langues. Féru de culture arabe, il a traduit Les Mille et Une Nuits. Editeur clandestin de textes erotiques, fasciné par les pratiques sexuelles de toutes les civilisations, Il traîne une réputation sulfureuse. La personnalité de John Speke semble moins complexe. « Un solide gaillard à l'esprit aussi carré que ses épaules », résume Chantai Edel. Il s'adonne à la chasse et se montre plus habile à tirer sur des rhinocéros qu'à faire des relevés scientifiques. Mais son Intuition est exceptionnelle et sa volonté inébranlable. Leur expédition, comme celle des autres qui suivront, est une caravane Le Nil Bleu, une des branches du Nil, prend sa source au lacTana, en Éthiople (photo de gauche). Pour remonter le Nil Blanc, la seconde branche, les explora- teurs ont traversé des forêts luxuriantes de l'Ouganda, aux arbres géants (séneçons) couverts de mousse. Au début du XXe s., Il est désormais acquis que le Nil prend sa source au lac Victoria. fi à lire H] • Michel Le Bris, Dictionnaire amoureux des explorateurs. Pion, 2011. • Chantai Edel, Le Nil. Aux sources du mystère. Omnibus, 2011. Henry Morton Stanley John Hanning Spelee Samuel Baker de 150 personnes avec ses gardes armés de sabres et de mousquets, et ses porteurs. On emmène femmes, enfants et esclaves. Des moutons et des chèvres complètent le convoi. Ils atteignent le lac Tanganyika en 1858. Mais Speke entend parler d'un lac encore plus vaste, le Nyanza. Burton étant malade, il part seul, retrouve le lac et le rebaptise du nom de la reine Victoria. Il est alors certain d'avoir trouvé la source du Nil. Mais il n'a pas le temps de faire les relevés précis ou de faire le tour du lac pour vérifier son hypothèse. Burton lui, n'en démord pas: le Tanganyika est la source du Nil. Une incompréhension majeure s'installe entre les deux hommes, qui se transformera en guerre ouverte dès leur retour en Angleterre. Speke, rentré le premier, s'empresse de faire le récit de sa découverte. Il bénéficie seul des retombées médiatiques. Quand Burton débarque à son tour, douze jours plus tard, son rapport sur le lac Tanganyika ne rencontre qu'un faible écho. Ulcéré, il met alors en doute publiquement les affirmations de son ex-partenaire d'expédition. Désireux de clore la controverse, Speke retourne en Afrique dès 1860, cette fols en compagnie du capitaine James Augustus Grant. Ils passent par Au xixe siècle, plusieurs explora- teurs remontent le Nil. Speke, en 1858, situe la source au lac Victoria. (Photo: Chutes de Mur- chison sur le Nil Victoria.) « Docteur Livingstone, I présumé ? » uand Stanley retrouve Livingstone à Ujljl le 10 novembre 1871, Il est fou de joie. Plus tard, Il retracera S M cette rencontre dans un passage resté célèbre: « Que n'aurals-je donné en cet instant pour me ^ ^ retrouver seul un moment dans cet endroit caché où faire éclater ma joie par quelque exubérance - memordre bêtement la main, faire une cabriole ou cravacher un arbre, par exemple - et me décharger de cette incontrôlable excitation qui m'étreignait. Mon cœur battait à tout rompre mais je ne devais pas trahir mon émotion sous peine de perdre, en de si paniculiéres circonstances, ma dignité d'homme blanc. J'avais envie de courir vers lui, mais je ne l'osai pas devant toute cette foule; j'aurais voulu lui donner l'accolade mais je ne savais pas comment il le prendrait. J'agis donc comme ma timidité et ma vanité me l'inspiraient: je m'avançais, levai mon casque et dis: :Docteur Livingstone, je présume ? Oui, me répondit-il avec un franc sourire et en soulevant sa casquette" ». une région correspondant à l'Ouganda actuel et doivent notamment négocier leur passage avec les pouvoirs en place. Grant, souffrant de sa jambe, ne se déplace pas assez vite. Speke retourne alors tout seul au lac Victoria. En juillet 1862, il atteint enfin l'endroit où l'on voit le lac se déverser dans un fleuve, par des chutes impressionnantes que Speke baptise chutes Rippon (du nom d'un des membres de la Société royale de géographie anglaise). Une fois de plus, il rentre avant d'avoir fait toutes les vérifications nécessaires. Au même moment, un autre explorateur se lance à la recherche des sources du Nil : Samuel white Baker. Cet officier britannique, ingénieur dans les ponts et les chemins de fer, se fait accompagner de sa femme Florence. Après maintes aventures, le couple découvre une étendue d'eau un peu moins vaste que le lac Victoria, qu'il baptise du nom du mari de la reine d'Angleterre qui vient de mourir : lac Albert. Baker est à son tour persuadé d'être tombé sur la source du Nil. Mais lui non plus n'a pas le temps de vérifier son intuition, en faisant par exemple le tour du lac Albert, ou en descendant le fleuve qui en est issu. Après son expédition, les interroga- tions peuvent se résumer ainsi : le Nil prend-il sa source dans le lac Victoria de Speke, dans le lac Albert de Baker, ou dans le lac Tanganyika de Burton? Le mystère reste entier. David Livingstone entreprend de trancher la question. Il est alors le plus célèbre des explorateurs. Entre 1852 et 1856, sa remontée du fleuve Zambèze et sa traversée de l'Afrique d'est en ouest ont fait de lui une légende. Dur avec lui-même, profondément croyant, il fascine ceux qui l'approchent. Le combat de sa vie est l'abolition de l'esclavage. « il aime l'Afrique et les Africains mieux que personne avant lui », relève Chantai Edel. Livingstone part en 1866. Il a l'intime conviction que les sources se trouvent bien plus au sud que le Tanganyika ou le lac Victoria. Son expédition prend alors un tour mystique. Il lit la Bible des heures entières. Persuadé que Moïse vient de cette partie de l'Afrique, il aspire désormais à trouver non seulement les sources du Nil, mais les ruines de cités que Moïse aurait fondées. À partir de 1869, les difficultés se multiplient: la faim, la malaria, les désertions. Le moral ne va pas mieux que le physique. En juillet 1871, il est témoin du massacre des habitants d'un village, fusillés à bout portant par les marchands d'esclaves. Écœuré par ce qu'il a vu, miné par la maladie, il survit grâce à la charité de ces trafiquants qu'il honnit. En Europe, on le croit mort. C'est alors que le journaliste américain Henry Stanley le retrouve en 1871, ce qui donne lieu à la scène de retrouvailles la plus célèbre de l'exploration de l'Afrique, et qui s'engage par le célèbre « Docteur Livingstone, l présumé? » (voir l'encadré). En dépit de sa fatigue, Livingstone décide de rester en Afrique. Il continue obsessionnellement ses recherches. Au cours de ses pérégrinations, il tombe sur le lac Moreo, d'où part un gigantesque fleuve, le Lualaba. Ne s'agirait-il pas du Nil? il n'a pas le temps de le vérifier. Epuisé, malade, il trouve la mort en 1873 près d'un autre lac, le Bangweolo. En 1874, Stanley monte alors une expédition décisive, celle qui va enfin apporter quelques certitudes et confirmer ou invalider les hypothèses des voyages précédents, il fait le tour du lac Victoria et ne voit aucun autre débouché possible que le grand fleuve qui s'élance à partir des chutes Rippon, ce que Speke avait noté. Puis II fait le tour du lac Tanganyika ; aucun fleuve de dimension notable n'en sort. Burton avait donc tort. Puis, suivant le fleuve Lualaba, il découvre qu'il s'agit d'un affluent du fleuve Congo. Livingstone s'était donc lui aussi trompé... Par conséquent, c'est Speke qui avait raison. Une ou plusieurs sources A partir de là l'essentiel du mystère est levé: c'est bien le Nil qui s'élance avec impétuosité depuis le lac Victoria, comme le pensait Speke. Mais beaucoup de choses restent à préciser. Il faut en premier lieu cartographier le fleuve. Ce sera l'œuvre des missions suivantes, avec notamment l'action du colonel Charles Georges Gordon, des Italiens Romulo Gessl et Carlo Piaggia. Mais la notion de source est relative. Si l'on considère que le Nil ne se conçoit que comme un fleuve majestueux, au fort débit, sa source principale est bien au lac Victoria. Si l'on estime, au contraire, qu'avant d'être un grand fleuve le Nil est rivière, ruisseau, mince filet d'eau, alors il faut chercher plus loin son origine. Or, au nord-ouest du lac Victoria, un faible courant débouche sur une rivière, la Kagera. En la remontant, on peut espérer trouver une source plus lointaine. Les générations suivantes d'explorateurs s'y attellent. En 1934, l'Allemand BurckhardtWaldecker établit ainsi que le Nil prend sa source au Burundi, au sommet du mont Gikizi, à 2145 mètres d'altitude. Une petite pyramide commémorative y a été construite. Récemment, d'autres expéditions ont affirmé avoir localisé la source du Nil dans la forêt tropicale rwandaise. En 2012, le Français Christian clot prévoit de parcourir à pied et en bateau le Nil Blanc sur toute sa longueur. La fascination pour le Nil et son origine ne se dément pas. Michel Le Bris, auteur d'un dictionnaire amoureux des explorateurs l'explique ainsi : « La quête des sources du Nil est sans fin. Il n'y a que les géographes et les offices de tourisme pour croire qu'un fleuve est doté d'une origine, simple et unique, clairement déterminée. Mais en fait, très souvent, les sources sont multiples. On trouve une convergence de ruisseaux qui progressivement se transforment en fleuve énorme. Cela heurte inconsciemment notre rêve d'une origine unique. Et c'est pourquoi la quête continue... » L'Écossais David Livingstone, convaincu que le Nil prend sa source en amont du lac Victoria, part en expédition en 1866. Mais il est rattrapé par la maladie et meurt en 1873. Profond humaniste, il est connu pour son combat contre l'esclavage. (Gravure du XIXe siècle: le marché des esclaves à Zanzibar.) Avant de devenir un grand fleuve, le Nil est une rivière du Rwanda. Mais laquelle? Le mont Stanley (5109 m), du nom de son découvreur, s'élève sur la frontière entre l'Ouganda et la Rép. Dém. du Congo. Hydrographie T out sépare le Nil des autres fleuves et le rend si singulier: son orientation méridienne, son débit plutôt faible à l'embouchure malgré son long cours - de plus de 6600 kilomètres - et, surtout, son parcours accidenté à nul autre pareil. Né à plus de mille mètres d'altitude dans les forêts luxuriantes du Rwanda, le petit ruisseau qu'il est alors va grossir et recevoir un confluent venu d'Éthiopie, avant de parcourir l'Égypte. C'est par de multiples soubresauts entre chutes, hauts plateaux, plaines marécageuses, sans compter le désert, qu'il entame son interminable descente vers la mer. Aujourd'hui, les nombreux barrages construits sur le Nil apportent un profond changement dans le paysage et l'environnement.
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