SPECIAL CELINE n°13 - Page 7 - L Aiglon La vérité sur Napoléon II Masque de fer Vrai jumeau de Louis XIV ? a X X # SPÉCIAL # i Histoire Général «i \ Boulanger Jgï-w• i I #iV ^ ^ ^ Le 30 septembre 1891, 3 Boulanger se suicide sur , la tombe de sa maîtresse Marguerite de Bonnematn, actrice de la Comédie Française. Beethoven Enfant de la Révolution française ? Le Boulangisme, qui a ébranlé la lllème République, stoppé net par une aventure sentimentale qui tourne court. LA GRANDE GUERRE - Les bénéficiaires du conflit v Lafont presse c'eût potiti^ ! En kiosques ou sur tablettes www.lafontpresse.fr SOMMAIRE ETUDE Chimistele matin, écrivain l'après-midi, doctem le soiT Par Éric Mazet 2 ANALYSE Le silence et le cri... oules points de suspension dans l'œuvre de Louis-Ferdinand Céline Par Agnès Hafez-Ergaut 33 LECTURE Céline au Septentrion. Un voyage aux îles Saint-Pierre et Miquelon Par Matthias Gadret 39 OPINION Dentelle blonde, danse de l'apocalypse PaT Luc-Olivier dAlgange 46 LECTURE Céline au Septentrion. Un voyage aux îles Saint-PieTTe et Miquelon Par Matthias Gadret 50 ENTRETIEN Emile Brami : « Les grands artistes sont des monstres » Par Joseph Vebret 52 ACTUALITÉ Présence célinienne Par David Alliot 70 ANTOLOGIE D'un Céline musicien Quelques notes sans musique Par Éric Mazet 73 SPÉCIAL CélineEdité par Entreprendre (LAFONT PRESSE) 53 rue du Chemin Vert 92100 Boulogne-Billancourt www.lafontpresse.fr Tel: 01 4610 21 21 Fax : 01 46 10 21 22 Directeur de la publication : Robert Lafont robert.lafont@lafontpresse.fr COORDINATION : Isabelle Jouanneau - Tél. : 01 4610 21 21 (lsabelle.jouanneau@lafontpresse.fr) > RÉDACTION Sous la responsabilité de Joseph Vebret 53 rue du Chemin Vert - 92100 Boulogne-Billancourt Tél. : 01 46 10 21 21 - Fax : 01 46 10 21 22 > ADMINISTRATION Directeur comptable : Didier Delignou - Tél. : 01 4610 21 21 dldier.delignou@lafontpresse.fr Comptables : Mélanie Dubuget - Tél. : 01 46 10 21 28 melanie.dubuget@lafontpresse.fr Diana Pereira - Tél. : 01 46 10 21 03 diana.perelra@iafontpresse.fr > PUBLICITE & PARTENARIATS Directeur : Éric Roquebert - Tél. : 01 4610 21 06 eric.roquebert@lafontpresse.fr > FABRICATION Maquette : Catherine Barnay (qi@quantum-international.fr) Impression : Rotochampagne (52 - Chaumont) > DIFFUSION PRESSE Patrick Ferry (entreprendre.ferry@wanadoo.fr) Distribution : MLP >ABONNEMENTS Dominique Bokey (domlnique.bokey@lafontpresse.fr) > INTERNET & ORGANISATION Isabelle Jouanneau - Tél. : 01 46 10 21 31 (isabelle.jouanneau@lafontpresse.fr) Spécial Céline est édité par Entreprendre (Société anonyme au capital de 246 617.28€) - RCS NANTERRE 403 216 617 SIRET : 403 216 617 000 23 NAF : 5814Z SA 53 rue du Chemin Vert 92100 Boulogne-Billancourt Tél. : 01.46.10.21.21 - Fax : 01.46.10.21.22 Toute reproduction, même partielle, des articles et iconographies publiés dans Spécial Céline sans l'accord écrit de la société éditrice est interdite, conformément à la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique. 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Lafont presse Chimiste le matin, écrivain l'après-midi, docteur le soir PAR ÉRIC MAZET Pour avoir osé critiquer la politique hégémonique des Anglo-Saxons et de la Fondation Rockefeller, le docteur Destouches, malgré la protection du docteur Rajchman à Genève, avait compris en décembre 1926 qu'il ne voyagerait plus, et que son contrat au Bureau d'hygiène ne serait pas reconduit en janvier 1928. Sans doute rédige-t-il des projets de réformes sanitaires qui n'intéressent personne et peut-être assiste-t-il encore à quelques conférences où il dessine plus qu'il n'écoute. Il ne lui reste qu'à occuper ses congés officiels et à les prolonger par des congés maladie, tout en faisant des allers-retours entre Genève et Paris, avec ou sans Elizabeth Craig. Le 9 avril 1927, Louis Destouches effectue un déménagement de Genève à Croissy-sur-Seine, emportant pour tout bagage personnel un gramophone et une série de disques. Que sait-on du Destouches de cette époque ? Les témoignages sont rares, fragmentaires, imprécis et contradictoires. Germaine Constans évoque un ami angoissé par l'idée de la mort, s'entourant d'objets de luxe. Le docteur Hazemann se souvient d'un Destouches désinvolte dans sa vie sentimentale, mégalomane, hurluberlu attachant. Elisabeth Craig fait le portrait d'un homme attentif et affectueux, passant de la drôlerie au désespoir, ennemi des faux-semblants, fragile comme un enfant qui cherche à être aimé. Ludwig Rajchman, dans un rapport, le présente comme un collaborateur « très intelligent et volontaire, rapide et souple dans son travail ». Mais « l'enthousiasme » n'est plus là. Destouches dessine pendant les réunions. Rajchman et Destouches se rencontreront à Paris entre 1928 et 1932, et Rajchman accordera encore des missions à Destouches en 1933. Indulgence de sa part s'il s'est reconnu dans le personnage du Major Mieschif de Voyage, celui qui fait compter à Bardamu les puces de Pologne. Peut-être indulgence encore après la publication de L'Église, où il apparaît sous les traits de Yudensweck, incarnant un fonctionnaire juif de la S.D.N., sympathique, pacifiste, malin mais secret, puissant et orgueilleux, bien que soumis aux ordres de la Fondation Bare11. Depuis mars 1926, Louis Destouches vit une liaison avec Elizabeth Craig, Ils s'ins- tallent en janvier 1928 à Croissy-sur-Seine, dans une maisonnette, rue des Saules, au bord de la Seine, mais Louis trouve déprimant le paysage qui avait inspiré les impressionnistes ; il déménage en octobre 1927 dans la banlieue ouvrière, à Clichy, au 36 rue d'Alsace, où il ouvre un cabinet de médecine générale. Les consultations ont lieu tous les jours de 13 h 30 à 15 heures, les mardis et vendredis de 21 heures à 22 heures, ce qui laisse au docteur Destouches du temps pour se rendre à Paris, fréquenter des laboratoires ou pour écrire. « J'ai été m'accrocher en banlieue, mon genre, à La Garenne-Rancy, là, dès qu'on sort de Paris, tout de suite après la porte Brandon. Je n'avais pas de prétention moi, ni d'ambition non plus, rien que seulement l'envie de souffler un peu et de mieux bouffer un peu. Ayant posé ma plaque à ma porte, j'attendis. » (Voyage, p. 490) Louis Destouches propose aux Éditions Gallimard de publier L'Église, mais la pièce est refusée en dépit de la « vigueur satirique ». Elizabeth vit dans un studio de la Place Clichy. Elle place les danseuses, venues d'Amérique, dans des spectacles de cabarets et monte pour elles des scenarii de ballets. Elle-même danse dans des boîtes de nuit. Sa famille lui sert une rente. Louis vit seul dans un trois-pièces, au premier étage, au dessus d'une boucherie. Clichy a un maire communiste, Charles Auffray (1887-1956), ajusteur, également député et conseiller général. Maurice Naile (1892-1940), premier adjoint, cheminot puis comptable, mutilé d'un bras en 1914, est chargé de l'hygiène sociale. Il se suicidera le 10 janvier 1940 avec son épouse Suzanne Weinmann. Rodolphe Barbedienne (18841955), deuxième adjoint, restaurateur, s'occupe de l'état civil et du cimetière. Les autres adjoints sont, entre autres, Ange Ayout, marchand de vin, Gustave Capel, comptable Gestraud, ajusteur. Le 24 décembre 1932, Les Nouvelles littéraires annonceront que la municipalité de Clichy avait accordé à Céline une somme de 5 000 francs, soit l'équivalent du prix Goncourt, mais qu'il l'avait refusée. En janvier 1933, d'après la revue Bec et ongle, Charles Auffray déclarera tout net à ses collègues du Conseil général que Voyage était « un monument littéraire impérissable » et qu'il allait « en faire adopter l'acquisition par le département pour les bibliothèques communales ». C'était avant L'Hommage à Zola, Mort à crédit et Mea Culpa. Dans L'Église, Clichy-la-Garenne deviendra Blabigny-sur-Seine, avec la rue des Tortures Ménagères, l'impasse Didelot et le Coin de la Révolte, les docteurs Vamiot et Latrapu, les petites Tapanour et Boutrou, les familles Baudrebut et Piquerol, le croquemort Rissolet et le docteur Mermilleux, directeur du Bureau d'Hygiène. « Elle me plaît bien la Mairie d'ici. S'il y a un trou à gauche, elle va y tomber ! Savez-vous qu'elle a voté l'expulsion des locataires qui paieraient leur loyer, à titre d'exemple qu'y z'ont dit ! C'est un pays comme ça, moi, qu'il me fallait ! » dira Pistil dans L'Église. Dans Voyage au bout de la nuit, Clichy deviendra La Garenne-Rancy, avec son petit parc municipal, son « boulodrome à gâteux », sa « Vénus insuffisante », son usine de chocolat « Bitronelle » et son boulevard Minotaure. « Quand on connaît depuis vingt ans la cabine téléphonique du bistrot, par exemple, si sale qu'on la prend toujours pour les chiottes, l'envie vous passe de plaisanter avec les choses sérieuses et avec Rancy en particulier. On se rend alors compte où qu'on vous a mis. [...] La lumière du ciel à Rancy, c'est la même qu'à Détroit, du jus de fumée qui trempe la plaine depuis Levallois. Un rebut de bâtisses tenues par des gadoues noires au sol. Les cheminées, des petites et des hautes, ça fait pareil de loin qu'au bord de la mer les gros piquets dans la vase. Làdedans, c'est nous. » (Voyage, p. 487) Louis Destouches a pour voisine de palier Jeanne Carayon (1903-1985), une Nî- moise de 26 ans. Sa mère, ancienne institutrice, fait la cuisine. L'aîné de ses deux frères, Marcel, né en 1899, traduit des livres espagnols et prépare une biographie de Lope de Vega. Son autre frère aîné, Jean, né en 1895, était revenu de guerre avec la Croix de guerre, cinq citations et la Légion d'honneur. Au Havre le 1er août 1928, elle avait accouché d'un fils, Michel, et n'avait pas retenu le père. Depuis l'école, elle connaît Lucie Pourcherol, née en 1905, qui a déjà publié sous le nom d'Elizabeth Porquerol deux romans, satiriques, Nephtali sera canonisé (1928) et À toi pour la vie (1929). Une autre camarade, Marie-Louise Camus, née en 1899, partage son appartement et prépare l'agrégation d'anglais. Son père, chef de ménage, et son frère Marcel vivent au 38 rue d'Alsace. Jeanne est correctrice d'épreuves chez Calmann-Lévy. Du docteur Destouches, elle se rappellera surtout son pessimisme mêlé de drôlerie, sa compassion et sa générosité, son angoisse de la mort, sa passion pour la beauté des corps. « Je suis grec », lui lança-t-il un jour. Mais aussi : « Je ferai naufrage... J'irai en prison... » Il s'amusait à lui à lui faire écouter Parlez-moi d'amour de Lucienne Boyer. D'Elizabeth, elle se souviendra d'une belle Américaine, souvent absente. Évoquant Jeanne Carayon en 1947 auprès de Marie Canavaggia, qui lui avait succédé comme correctrice en 1936, Céline écrira : « La famille était folle et elle aussi un petit peu - très hystérique tout au moins. Ce qui n'est après tout qu'une féminité un peu intempérante mais dont les messieurs n'ont pas à se plaindre du tout ! Et quelle intelligence et quel savoir ! » Charlotte Musson, compagne de Gonzague Truc, fera des portraits d'elle, visibles au musée Élise Rieuf de Massiac. Elle se mariera le 1er juin 1933 avec Paul Wheatley Eichelberger, juriste de Baltimore, de parents juifs, qu'elle quittera en 1937, et elle n'entendit jamais Destouches médire des juifs avant cette date. De Céline, elle retiendra le musicien. En 1939, elle le perdra de vue, mais le reverra à Meudon. Elle travaillera après guerre pour Montherlant et Marguerite Yourcenar et sera longuement interrogée sur Céline par Marie Alchamolac {Année Céline 2006). L'atmosphère politique de l'année 1928 s'alourdit de menaces diverses. Le 1er janvier, L'Humanité déclare que 1928 sera l'année de « l'ennemi ». Le 2 janvier, le même journal célèbre « le dixième anniversaire de la Tcheka-Guépéou, gardienne de la Révolution » et dénonce « l'impérialisme français à l'œuvre en Alsace-Lorraine contre les autonomistes ». « Chimiste le matin, écrivain l'après midi, docteur le soir », résumera le peintre Henri Mahé en évoquant son ami. De bonne heure, le docteur Destouches se rend certains matins à l'Institut prophylactique, 36 rue d'Assas, fondé en 1916 grâce à la générosité du millionnaire américain Frank Jay Gould, et dirigé par le docteur Arthur Veraes, pour lutter contre les maladies vénériennes. Arthur Vernes (1879-1976) publiera en 1935 S.O.S. pour la défense de la race, préfacé par Alexis Carrel. D'autres matins, le docteur Destouches se rend à la Biothérapie, 140 bis rue Lecourbe, laboratoire pharmaceutique où un ancien ministre de Kerenski, le chimiste Titov, l'a introduit sur recommandation d'un ancien confrère de la section d'hygiène de la S.D.N., qui pourrait bien être Rajchman. Le laboratoire de La Biothérapie avait été fondé par le pharmacien Henri Villette en 1910, 5 rue Paul Barruel, Paris XVe . Il était l'inventeur d'un vaccin contre le typhus. Sous l'impulsion de deux juifs russes, Charles Weisbrem et Abraham Alpérine, qui avaient fui la révolution de 1917, La Biothérapie s'était spécialisée en vaccins buccodentaires et pâtes dentifrices. Pour 1 000 francs par mois, Louis Destouches s'occupe de la correspondance avec le corps médical, rédigeant des textes publicitaires consacrés par exemple au dentifrice Sanogyl. Il s'occupe de la publicité rédactionnelle sur les méthodes vaccinales du Elisabeth Craig fait le portrait d'un homme attentif et affectueux, passant de la drôlerie au désespoir, ennemi des faux-semblants, fragile comme un enfant qui cherche à être aimé. « chercheur maison » de La Biothérapie, Alexandre Besredka. Il restera à La Biothérapie jusqu'à la publication de Bagatelles pour un massacre, mais, « pour raisons d'économies », son activité y sera réduite de « trois quart » en avril 1933, donc avant la publication de L'Église en septembre. Aleksandre Andreevich Titov (18781961), en 1903, avait soutenu sa thèse en allemand à Leipzig, puis en 1906 avait publié en russe, à Moscou, Quelques souvenirs du mouvement étudiant de l'année 1901 et vers 1918 Politique et gouvernement (18941917). Il avait été membre de la Douma et de l'Union « Tout Russe » de Zemstvos en 1914, puis avait rejoint le Parti socialiste révolutionnaire et, en mars 1917, dans le gouvernement de Kerenski, remplacé S. M. Leont'ev comme vice-ministre de l'approvisionnement. Il faisait donc parti de ces Russes progressistes, anti-tsaristes, voire révolutionnaires, mais démocrates, qui seront écartés puis pourchassés et exterminés par les Soviets. Vers 1918, Titov avait gagné Paris et enseigné la chimie à l'Université. Alexandre Mikhailovich Besredka (Odessa, Ukraine, 1870-Paris, 28 février 1940), entre 1888 et 1892, avait étudié la biologie à Odessa avec le microbiologiste Élie Mechnikov, et présenté sa thèse en 1892. L'année d'après, il gagnait Paris et travaillait à l'Institut Pasteur avec le Élie Mechnikov (1845-1916) qui avait reçu le prix Nobel de médecine en 1908. Ayant acquis la nationalité française en 1910, Besredka devient professeur-adjoint à l'Institut Pasteur, mène des recherches sur la typhoïde. Mobilisé en 1914 comme infirmier, dans les combats de Verdun, il dirige un laboratoire de bactériologie. En 1919, il succède au poste de Metchnikoff à Pasteur, est décoré de la Légion d'honneur en 1923, et assume ses fonctions jusqu'à sa mort le 28 février 1940. Il est également un membre important de l'O.S.E. (Société pour la Protection Sanitaire de la Population Juive) dont il devient président en 1933. Destouches publiera, en juin 1929, « À propos du livre récent de A. Besredka », et en septembre « Note sur l'emploi des antivirus de Besredka en pansements humides » dans le Journal de Médecine de Paris, puis « Deux expériences de vaccination en masse "per os" contre la typhoïde » dans la Presse médicale. Il se pourrait que le personnage de Serge Parapine, que le docteur Bardamu consulte pour la typhoïde de Bébert, soit pour une part inspiré d'Alexandre Besredka. André Lwoff penchait plutôt pour Serge Metalnikov, fréquenté à l'Institut Pasteur en 1923, bien qu'il ne fût pas spécialiste de la typhoïde. Abraham Alpérine (Russie, 1881-Paris, 1968) avait été le fondateur de la Banque des marchands de Rostov et avait dirigé l'usine de tabac Asmolov & Cie de Rostovsur-Don qui produisaient les cigarettes Nacha Marka. Elle avait été fondée par Asmolov, un conducteur de chevaux. En 1919, la compagnie fut nationalisée et le nom changea en Usine de Tabac de l'État de Don (DSTF). Alpérine avait également été viceprésident de la Société d'aide aux cosaques du Don (1918-1919) dont le président était Mitrofan Bogaïevski, hostile à la Révolution d'octobre. Ce dernier fut exécuté par les bolchéviques en avril 1918, à Rostov. Également militant du Parti socialiste révolutionnaire russe, donc opposé aux Soviets, Abraham Alpérine avait quitté la Russie et était arrivé à Paris en 1919. Économiste de formation, il s'associe avec Charles Weisbrem et Henri Villette pour promouvoir le laboratoire pharmaceutique La Biothérapie, en commercialisant le dentifrice Sanogyl. D'abord installé au 3 rue Maublanc, ce laboratoire se déplace dans un immeuble de sept étages, 5 rue Paul Barruel, avec du personnel - près d'une centaine d'employés - composé presque exclusivement d'exilés russes vivant dans le XVe arrondissement de Paris, devenu une sorte de « Petite Russie ». Le Sanogyl devint le numéro un du dentifrice vendu en pharmacie en 1923, car c'était le premier dentifrice à pâte molle, vendu en tube souple. Stephan Epstein (Varsovie, 8 novembre 1866-Paris, 12 mars 1941), cousin d'Abraham Alpérine, s'était chargé des essais du Sanogyl. Neveu du grand rabbin de Vienne Abraham Epstein, il avait été éduqué à Kiev, fait ses études de sciences naturelles à l'Université de Vienne, puis avait étudié en 1895 la physiologie à Berlin. Il avait publié Kabbala und Naturwissenschaft en 1891, Paul Bourget als Lyriker en 1893, H. von Helmholtz en 1895, Emil du BoisReymond en 1896, Maupassant en 1899, Der Kampf des Menschen Gegen die Natur en 1899. Il collaborait à la publication de Hundert Jahre in Wort und Bild ; Eine Kulturgeschichte des XIX Jahrhunderts à Berlin en 1902. Il avait aussi traduit L'Oiseau bleu de Maeterlinck en allemand. Maurice Leblanc était de ses amis. Marié avec Henriette Chateau en 1910, naturalisé Français en 1931, il travaillera à la pharmacie Bailly, puis chez Rhône-Poulenc, et reviendra à La Biothérapie où il remplacera Destouches. Musicien, conférencier, il sera décoré par le roi des Belges Léopold III. Comme presque toutes les villes de banlieue, Clichy possède son Bureau municipal d'Hygiène. Il est dirigé par le docteur Henri Lehmann, puis par le docteur Victor Trotesski. Am w Abraham Alpérine avait au moins une sœur, Maria (Staro-Konstantinoff, 1884Paris, 1944), mariée à Marc Karnovsky (Tchernigoff, Russie, 1872-1941), correspondant de langues étrangères, naturalisé Français en décembre 1936. Elle avait gagné la France en 1928 et était la mère d'Alexandre Karnovsky (Ekaterinodar, 1917-Paris, 1944), médecin diplômé en 1939 et traducteur à La Biothérapie. Alexandre était membre du Parti socialiste révolutionnaire russe à l'étranger, ainsi que son oncle Abraham Alpérine. Engagé dans la Division Leclerc, il mourra au combat lors de la libération de Paris. Apprenant la nouvelle, sa mère se suicidera. Abraham Alpérine avait une fille, Vera, née en 1915, qui écrira ses mémoires en 2005 sous le nom de Valia Talon et sous le titre La Magie du réel. Le texte est en partie repris dans Le Bulletin célinien de juin 2008. Elle avait 16 ans en 1931. « À l'âge ingrat, mon visage s'était couvert de boutons... Je passais mon deuxième bac... Mon père me convoque à son usine pour consulter le nouveau docteur qu'il vient d'engager... Le docteur Destouches me prescrit un traitement de trois mois. À la sortie du lycée il m'impose bière et levure de bière. Il prenait une bière aussi... [...] Mon père disait que c'était un très bon médecin, au diagnostic rapide et sûr... Cela lui était égal que son médecin soit négligé. » Abraham Alpérine était le tuteur des deux enfants de Charles Weisbrem. Charles Weisbrem (Russie, 1884-Paris, 10.9.1937), avait été président du conseil d'administration de la Banque commerciale de Rostov-sur-Don, avait placé ses capitaux en Angleterre avant 1914 et, en 1917, avait récupéré sa femme et sa fille à Constantinople, pour leur faire gagner Paris. Il avait le titre de fondateur et de président du conseil d'administration de la société La Biothérapie. Sa fille, Alexandra Weisbrem (Petrograd, 1901-France, 1979), protestante par sa mère et qui considérait son tuteur Alpérine comme son père, épousa Léopold Benenson (Minsk, 1888-1954), comptable, puis administrateur de La Biothérapie. Ils étaient domiciliés 26 rue Lalo, et furent naturalisés Français le 15 avril 1937. Basile Weisbem (1894-après 1979), son frère, était membre de la Société préhistorique française. Alexandra ne gardera pas un bon souvenir du docteur Destouches. Interrogée par Philippe Alméras (.Dictionnaire Céline), elle aura retenu que le docteur Destouches était « sale et puant du bec », obsédé sexuel, capable de grands élans de cœur, très sensible, tourmenté, plein de contradictions, et qu'il avait « soigné avec beaucoup de dévouement un des employés, Monsieur Kotyrlo », bactériologiste ukrainien, atteint de fièvre typhoïde. Son mari aurait renvoyé Destouches après une discussion qu'elle situait avant Bagatelles. Benenson aurait dit à Destouches : « Vous n'avez plus besoin de la charité des juifs », et à Alexandra : « Destouches ne pue pas seulement de la gueule, mais moralement. » Elle aurait été l'une des premières lectrices du brouillon de Voyage et l'aurait annoté après qu'une dactylo russe de La Biothérapie le tape et se suicide. Au cabinet du docteur Destouches, la clientèle est rare et pauvre. « Pendant des mois j'ai emprunté de l'argent par-ci et par-là. Les gens étaient si pauvres et si méfiants dans mon quartier qu'il fallait qu'il fasse nuit pour qu'ils se décident à me faire venir, moi, le médecin pas cher pourtant. J'en ai parcouru ainsi des nuits et des nuits à chercher des dix francs et des quinze à travers les courettes sans lune. » (Voyage, p. 493) Très vite, le docteur Destouches aurait eu maille à partir avec le docteur Weiss, représentant du syndicat des médecins de Clichy qui se serait inquiété de son « psychologisme » en clientèle. Le docteur Thibert, installé tout près, place de la République, médecin à la Fondation Roguet, hospice de vieillards, aurait convenu que jamais il ne lui aurait envoyé un patient (Boudillet, p. 219). Proche du cabinet du docteur Destouches, l'Hôpital-dispensaire Gouin, fondé par Jules Gouin en 1897, tenu par des religieuses, vient de s'agrandir en 1927. Il héberge surtout des ouvriers résidents. Comme presque toutes les villes de banlieue, Clichy possède son Bureau municipal d'Hygiène. Il est dirigé par le docteur Henri Lehmann, puis par le docteur Victor Trotesski. Les consultations sont assurées par le docteur Joseph Mathieu ou par le docteur Thibert. Le quotidien du Bureau d'Hygiène est assuré par Gaston, Eugène Paymal, commis expéditionnaire, agent administratif, né en 1898, qui donnera son nom à une rue de Clichy. Son épouse, depuis 1923, Germaine Paymal, née Despaty, est sténodactylographe. Gaston Paymal se remariera le 9 février 1933 avec Aimée Le Corre, née en 1905 à Clichy, celle qui dactylographia Voyage. Ce Bureau municipal d'Hygiène était nettement insuffisant pour accueillir tous les malades de Clichy. Destouches a forcément fréquenté un temps les docteurs Thibert et Lehmann, puisque ceux-ci, auprès de Boudillet, se souviendront d'un « praticien extravagant », « d'une intelligence déviée ». Le 12 novembre 1925, la mairie avait adopté la création d'un établissement de bains-douches et le 28 avril 1926 l'édification d'un dispensaire médical. Le 25 janvier 1927, le Conseil municipal opte pour la construction d'un établissement de bainsdouches (trente cabines dont dix-huit pour les hommes) et de deux dispensaires, l'un de médecine générale, l'autre de centre antituberculeux. La décision est approuvée le 15 mars 1927. La mairie paye 50 % des travaux, le Ministère du Travail et de l'Hygiène finance le reste. Dans le quatrième gouvernement Poincaré (23 juillet 1926-6 novembre 1928), André Fallières, fils du Président, assume la fonction de ministre du Travail, de l'Hygiène, de l'Assistance et des Prévoyances sociales. Le dispensaire sera achevé sous la direction de l'architecte Berry en novembre 1928. L'établissement comprendra une salle d'attente, deux déshabilloirs, le bureau du « Docteur-Directeur », le bureau du Docteur, le Bureau d'hygiène, le Bureau du spécialiste, le Bureau des assistantes, le Bureau du Service social, le laboratoire, la salle des pansements, la salle des tirages, un laboratoire d'analyses et de recherches, une salle de radioscopie (rayons X et rayons ultra-violets). En 1929, le dispensaire accueillera 36 899 malades. Seront traitées 7 390 syphilis et 6 213 blennorragies. Les autres fléaux sont le cancer, l'alcoolisme et la tuberculose. Sur recommandation de Ludwig Rajchman, le docteur Destouches est accueilli à Laënnec dans le service du professeur Léon Bernard (1872-1943) qui représente la France à la Section d'Hygiène et dirige de Paris la lutte antituberculeuse. Son adjoint, Robert Debré (1882-1978), voit travailler Louis Destouches à Laennec où il s'initie à la médecine de dispensaire, et se souviendra d'« un type d'une intelligence exceptionnelle avec un bon sens de l'humour, pas heureux, pas bien dans sa peau » (Alméras). Michel Debré, fils de Robert, né en 1912, aurait presque été fiancé avec la fille de Ludwig Rajchman, Irena, née en 1909. Robert Debré (1882-1978). Fils d'un rabbin alsacien, après une licence de philosophie à la Sorbonne, se consacra à la médecine. Interne en 1906, il se marie en 1908 avec la fille du peintre Debat-Ponsan. Dès 1910, il mène son combat contre la tuberculose enfantine. En 1914, il est mobilisé comme médecin-lieutenant dans un régiment d'artillerie. Médecin des hôpitaux en 1917, il devient chef de service à l'hôpital Bretonneau. Au début des années 1920, il prend la succession d'Antonin Marfan à l'Hôpital des Enfants Malades (Hôpital Necker). Sa principale préoccupation est la tuberculose de l'enfance. Il fonde avec son confrère Léon Bernard une œuvre assurant l'élevage des nourrissons à la campagne à l'abri des risques de contagion liés à leur origine familiale. Ce combat l'avait conduit à participer aux travaux du Service d'hygiène de la S.D.N. et à fréquenter Ludwig Rajchman. Fut-il proposé à Destouches une vacation au Bureau d'Hygiène de Clichy ? Le docteur Destouches sait qu'un dispensaire municipal est en train d'être construit. Espéra-t-il y être nommé à la direction ou le docteur Hazemann le lui fit-il miroiter ? Auprès de Boudillet, Hazemann déclara avoir fait entrer Destouches au dispensaire de Clichy. Les deux hommes s'étaient rencontrés à Genève. Le docteur Robert-Henri Hazemann (Paris, 1897-Paris, 1976) est aujourd'hui considéré comme l'un des fondateurs de la médecine sociale. Son nom apparaît comme premier directeur du dispensaire de Clichy alors qu'il n'était plus en France lors de son inauguration. Destouches avait bien connu son père, le docteur Robert Hazemann (Alsace, 1872Draveil, 1943), ami de Jaurès, conseiller général de la Somme, membre du Bureau d'Hygiène à la S.D.N. et conseiller municipal de Vitry-sur-Seine jusqu'en 1925. Robert-Henri Hazemann fait ses études secondaires à Arras et à Lille. Engagé volontaire dès 1914, il participe comme aviateur aux campagnes des Dardanelles et de France Le 8 novembre 1928, la construction du dispensaire municipal de Clichy est terminée. Reste à installer les meubles et les appareils qui sont commandés à la >agnie du Ronéo et aux / Etablissements Jouan. Compi et il est blessé au cours d'un raid aérien. Il obtient le titre de docteur en médecine à Paris en 1924, exerce comme externe à l'hôpital Claude Bernard et comme médecin radiologue de l'Office public d'Hygiène sociale. Il fait également office de médecinconseil à l'Union des Syndicats de la Seine. Il s'établit à Athis-Mons, y est élu conseiller municipal en 1925 sur la liste communiste. En novembre, après accord du maire socialo-communiste, le pharmacien Pierre Périé, il prend la direction du bureau d'hygiène et du dispensaire de Vitry-sur-Seine, nouvellement construit. Nourrie de lectures marxistes et fouriéristes, sa conception « nouvelle » du dispensaire lui vaut d'assurer, à la demande de Raphaël Zakine, militant communiste puis trotskyste, le fonctionnement des services d'hygiène sociale d'Essonnes, municipalité communiste. Le 20 octobre 1927, il est appelé par Georges Marrane, maire d'Ivry-sur-Seine, pour y organiser les services municipaux d'hygiène et assistance sociale. Partant le 31 août 1928 pour les États-Unis, il en laisse la direction au docteur Grégoire Ichok, avec lequel, par ailleurs, il partage le combat pour la crémation. Pendant un an, avec une bourse Rockefeller, il s'attache à parfaire, à l'université de Baltimore (Johns Hopkins School), sa formation d'hygiéniste, plus disposé que jamais à considérer l'hygiène comme « une science administrative appliquée à la santé ». Destouches et Hazemann se retrouveront à Paris au dispensaire Marthe Brandès, étroitement lié à la Fédération des blessés du poumon et des chirurgicaux, dont Hazemann est secrétaire-général. Le 25 décembre 1932, sous le titre « Un qui nous venge de nous », l'organe mensuel de la Fédération, Vivre, publiera un article du docteur Robert-Henri Hazemann, soulignant l'humanité de Voyage au bout de la nuit : « Si la guerre a pu dévaloriser quelque peu notre anatomie, nous avons au moins eu la consolation d'y avoir connu des hommes. » En 1931, la Fédération nationale des blessés du poumon obtient de l'État le financement de la construction d'une ville pour les tuberculeux, près d'Excideuil, à Salagnac, en Dordogne, qui s'appellera « Claivivre ». Conseillé par le professeur Léon Bernard, Albert Delsuc, secrétaire général de la Fédération, était l'instigateur de ce projet original. Lui-même, ancien combattant, gazé, avait été atteint par la tuberculose. Il est assisté par le docteur Robert Hazemann et par l'architecte Pierre Forestier, concevant une sorte de phalanstère où les pensionnaires travailleraient sur place et vivraient avec leur famille. « Clairvivre » abritera cinq mille personnes dans ses 340 logements et tout commerce avec l'extérieur sera interdit. École, cinéma, commerces, fermes, sont prévus à côté de l'hôpital ultra moderne. L'inauguration aura lieu le 30 juillet 1933. Éliane Tayar, l'amie de Mahé et de Céline, réalisera un film sur « Clairvivre » en 1934, et se mariera avec Pierre Forestier ( 1902-1989) le 21 septembre 1935. Mme Hazemann dirigera l'administration de « Clairvivre », modèle unique de cité fouriériste. Sous le Front Populaire, Hazemann deviendra chef de cabinet du ministre de la
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