LE NOUVEL OBSERVATEUR n°2477 - Page 2 - 3 LeNouvelObservateur26 avril 2012 - n° 2477 Allons droit à l’essentiel. Le succès impressionnant de Marine Le Pen ne met pas en danger la victoire de la gauche. Il est tout simplement un déshonneur pour la France. Notre pays, depuis des siècles, exporte des révolutions. Il risque aujourd’hui de prendre la tête de tous les mouvements populistes et xénophobes de l’Europe. Tout le monde parle en effet de la crise comme s’il n’y en avait qu’une seule et qu’elle était financière. Elle est sans doute grave et le prochain président aura à l’affronter avec des méthodes aussi vigoureuses que lucides. Mais il y a une autre crise qui s’annonce et qui d’ailleurs sévit déjà: celle de la compétition dans le monde entre des nationalismes à fondement religieux, et de son exploitation par toutes les forces d’extrême droite. Marine Le Pen a montré qu’elle savait tirer parti avec un talent sans égal des dérapages de tout ce que nous appelons le « printemps arabe ». Un printemps qui devient ce vivier de convulsions à l’issue desquelles on peut craindre que les peuples révoltés ne se laissent imposer les gouvernements les plus obscurantistes et les plus autoritaires. Au cœur de ces mouvements s’est organisée une nébuleuse de forces qui préconisent un peu partout l’usage de la violence. Après les assassinats de Montauban et de Toulouse commis par un fanatique au nom d’Al-Qaida, on n’a pu empêcher qu’une peur plus ou moins raciste ne circule dans des populations déjà préparées par le Front national au chauvinisme. Marine Le Pen a senti qu’à l’occasion de ce drame un vent soufflait dans sa direction, et elle a décidé de reprendre le flambeau, un moment abandonné, de la lutte contre l’immigration et l’insécurité. C’est ce qui s’est passé dans plusieurs capitales européennes. Nicolas Sarkozy, probablement informé par les rapports traditionnels des préfets et de ses ministres, a amorcé alors une véritable campagne utilisant l’horreur des attentats et la présence jugée trop massive des immigrés pour s’attirer les électeurs du Front national. Au même moment, Jean-Luc Mélenchon, avec un talent de grand tribun dont on s’était attendu à ce qu’il mobilise davantage d’électeurs, s’est mis à tirer à boulets rouges contre le Front national. Il affirme aujourd’hui que, sans ces tirs, le score de Marine Le Pen eût été encore supérieur. Je n’en crois rien, hélas, et j’essaie de le dire depuis trop longtemps. Il faut trouver une autre façon d’épouser les tourments légitimes d’un peuple empoisonné. En tout cas, pour ce qui est du second tour, les représentants L’avertissement Quand une partie du peuple se sent mieux représentée par Marine Le Pen que par Jean-Luc Mélenchon… de la gauche ont compris que l’heure était au rassemblement et qu’il ne pouvait se faire, le 6 mai, que derrière François Hollande. Voilà un homme dont on est heureux de pouvoir penser du bien. Je vais préciser ce qui, pour ma part, me réjouit sans réserve. C’est que ce leader socialiste s’est engagé à appliquer le plus difficile des principes pour un homme de gauche: ne procéder à aucune répartition des richesses avant de s’être assuré de leur équilibre. En clair: ne rien accorder si l’on n’est pas sûr non seulement de posséder ce que l’on veut donner mais de pouvoir en garantir le développement. Rien de moins démagogique et de moins populiste qu’un engagement de ce genre. Certains vont tout faire, autour de lui, pour qu’il contourne cet engagement par des concessions immédiates afin de célébrer la victoire du peuple. Il lui appartiendra, et il peut compter sur nous pour l’y encourager, de résister aux pressions des extrêmes. Je veux ajouter que je me sens rassuré par les termes que François Hollande a su choisir pour parler de la France en séparant la nation du nationalisme; pour aborder le problème de l’immigration sans le limiter à celui de la sécurité; pour évoquer les devoirs que nous avons envers les immigrés sans sous-estimer pour autant les liens identitaires de la République avec la laïcité. Tout cela me donne des raisons de voter, le 6 mai, pour François Hollande. Je veux m’attarder un instant encore sur la position de ceux qui prônent l’abstention, en raison de leur manque d’enthousiasme pour l’un et l’autre candidat. Décider de ne pas voter, c’est enlever toute signification à l’une des manifestations les plus chèrement acquises de la démocratie. On a vu récemment des placards de journaux commencer par un gros titre:« Elections, pièges à cons », mot d’ordre inventé par les soixante-huitards lorsque ces derniers redoutaient que, par le biais des urnes, on ne les privât des conquêtes du pavé. Voici qu’à nouveau la question rebondit, soulevée par le philosophe Alain Badiou, pour qui les élections ne seraient qu’une des ruses les plus efficaces de la bourgeoisie capitaliste pour travestir la volonté du peuple. N’entrons pas aujourd’hui dans cette philosophie mystificatrice. La France va devoir choisir, le 6 mai, entre deux hommes et, à travers eux, deux destins. Aucun citoyen ne devra se dérober devant ce choix. J. D. RetrouvezleblogdeJeanDanielsurNouvelobs.com l’éditorial de jean daniel 11 LeNouvelObservateur26 avril 2012 - n° 2477 L’Argent a perdu. Tel est le ressort à peine caché d’une campagne qui débouche sur le retentissant échec de Nicolas Sarkozy dans ce premier tour de l’élection présidentielle. En filigrane des débats innombrables qui ont tissé le fil de cette grande confrontation nationale, on trouve cette vérité première: c’est la place de l’argent dans la société et l’attitude des classes fortunées qui ont été sanctionnées de manière spectaculaire par le peuple français. Auteur d’une campagne exceptionnelle par son incohérence, Nicolas Sarkozy a perdu tout seul. Sa pratique des institutions –une monarchie élective soudain instaurée au sommet de l’Etat et une concentration de pouvoirs inédite dans la République– le désigne comme coupable essentiel. Erratique, agressif et présomptueux, son discours explique pour une bonne part sa déconvenue de premier tour, que seul un miracle pourrait inverser au second. Il s’est débattu comme un diable dans le marécage de son bilan. Il n’a fait que s’enfoncer. Il a voulu ensuite chiper au Front national ses thèmes de prédilection, identité et immigration. Il n’a réussi qu’à les légitimer pour propulser vers un nouveau record de voix celle qu’il voulait dépouiller. Mais il est probable que Nicolas Sarkozy a perdu l’élection 2012… le soir de l’élection 2007. En allant fêter sa victoire avec les sommités du CAC 40, il a décidé de sa défaite cinq ans plus tard. Les grands échecs naissent des grands succès. Nicolas Sarkozy s’était imposé en transgressant les coutumes de la République, en affichant son ambition quelque peu cynique, en portant la parole d’une « droite décomplexée », en exaltant la réussite individuelle dont le critère principal était l’aisance financière. Or il se trouve que la République du mérite tolère l’argent mais qu’elle n’aime pas le fric. La popularité du nouveau président, qui appliquait à l’Elysée les recettes provocatrices qui avaient fait son succès dans l’élection, s’est maintenue six mois, jusqu’à cette fatale conférence de presse où, déjà plombé par ses Ray-Ban, son bouclier fiscal et son séjour sur le yacht de Vincent Bolloré, il a annoncé que les caisses étaient vides mais qu’il était néanmoins heureux puisqu’il convolait avec un mannequin sorti des pages de « Vogue », suprême bonheur au milieu du malheur populaire. Sa cote a alors plongé pour ne jamais remonter. Cette insigne maladresse, qui a heurté profondément ce vieux pays à la fois catholique et égalitaire, eût été rattrapable si elle n’était pas entrée en résonance avec l’extravagant comportement de l’élite financière du pays. Violant les conventions françaises en croyant les moderniser, Nicolas Sarkozy a surtout mimé Victime de lui-même En portant la parole d’une droite décomplexée, Nicolas Sarkozy a heurté d’emblée une France de tradition catholique et égalitaire, qui tolère l’argent mais n’aime pas le fric. l’attitude des élites de l’argent. Insatisfaites de la médiocre rentabilité de leurs activités traditionnelles de crédit, les banques se sont étourdies dans la spéculation, poliment rebaptisée « activités de marché », contaminant les grandes entreprises, vouées à la rentabilité rapide et féroce. Bonus vertigineux, profits gigantesques, retraites-chapeau et salaires mirifiques: les mœurs anglo-saxonnes se sont répandues au sommet de la société française qui ne les supporte guère. Tombées du haut de leur piédestal doré avec la crise des subprimes, les banques ont continué contre krachs et marées, telle la monarchie en 1788, à distribuer à leurs petits et grands marquis prébendes et pensions. Les Marie-Antoinette de la finance ont défié le peuple. C’est la tête de Sarkozy qui tombe dans le panier. Non que la France se soit tout d’un coup vouée aux mânes de Robespierre et du Père Duchesne, contrairement à ce qu’a cru Jean-Luc Mélenchon. La France n’est pas révolutionnaire, comme le démontre le succès de Hollande le conciliateur. Mais elle demande qu’on respecte les traditions républicaines d’égalité des chances et de justice sociale. Ce que le candidat socialiste a brillamment résumé dans son discours du Bourget et qui lui a assuré le succès dans l’élection. Contrairement à l’idée répandue dans la bourgeoisie et chez les libéraux, la France aime l’esprit d’entreprise et pleure la faiblesse de son industrie. Elle a accepté, dans sa majorité, le marché et la mondialisation. Elle n’aime pas l’arrogance des milliardaires, voilà tout. Il faut maintenant transformer au second tour l’essai marqué au premier. Les républicains qui aiment la justice sociale, dont le nombre dépasse largement le simple cercle des partis de gauche, doivent se réunir pour donner au nouveau président un mandat clair et éclatant. Rien ne serait pire, dans cette circonstance, que l’intolérance envers les uns ou les autres, que le repli de la gauche sur son pré carré. Les électeurs de Jean-Luc Mélenchon et d’Eva Joly doivent bien sûr rejoindre ceux de François Hollande: il s’agit de participer à la restauration républicaine et au redressement du pays dans un esprit d’égalité. Mais ils doivent aussi accueillir, sans esprit de chapelle, les Français qui ont cru en François Bayrou, ou encore les gaullistes sociaux ou bien les démocrates-chrétiens heurtés par le raidissement droitier de l’UMP. Autour des valeurs communes, dans une situation économique dramatique, devant des défis considérables, tous doivent participer à l’union des républicains autour de la République. De Bayrou à Poutou, sans exclusive. L. J. l’ é d i t o r i a l d e l a u r e n t j o f f r i n LeNouvelObservateur26 AVRIL 2012 - N° 2477 OùsontpasséslesmillionssuissesdesBettencourtrapatriésparl’ex-gestionnairedefortune? Lesjugessoupçonnentunfinancementpolitique,etl’ontfaitincarcérercommeunvulgaire voyoupourluidélierlalangue.Marie-FranceEtchegoindévoileleparcoursdel’élégant“Patou”, quicroupitdésormaisenprison,loindeschasseshuppéesetduGabon,sonlucratifjardinsecret PORTE-VALISE DE LA SARKOZIE ? Patrice de Maistre ou les tourments du maillon faible L’enquête ABACA 13 LeNouvelObservateur26 avril 2012 - n° 2477 L’hiverdernier,alorsquelesmagistratsdeBordeaux, Jean-MichelGentilentête,serapprochaient,c’esttou- joursàLibrevillequel’anciengestionnairedefortune de Liliane Bettencourt est allé se changer les idées. « Demain,jedormiraipeut-êtreenprison »,confie-t-il alors à ses amis. Quelques heures plus tard, quand il atterritàRoissy,le14décembre,ilestarrêtéetamené à grand renfort de sirènes à la maison d’arrêt de la Santé. Le juge Gentil a utilisé la procédure du « man- dat d’amener », généralement réservée aux malfai- teurs récalcitrants. Comme si de Maistre voulait prendre la fuite au pays de Bongo ! Il avait pourtant prissoindeprévenirdesonvoyageetpréciséqu’ilétait prêt à se présenter au tribunal à n’importe quelle heuredujouroudelanuit.Cettefois-là,ilpasseraseu- lement une nuit derrière les barreaux. Une mise en boucheavantsonplacementendétentionpréventive le23mars.Sesavocats,prisdecourt,ontdûserendre d’urgence chez Décathlon pour lui acheter des vête- ments adaptés aux rigueurs carcérales. Ils pensaient que la caution de 2 millions d’euros imposée à leur client le protégerait de la prison. Las. « Jeneméritais pasça », a lâché, dans un sanglot, le sexagénaire sou- mis au même traitement que les voyous ordinaires : lesaveuxoulageôle.Soitilditoùsontpassésles4mil- lionsd’eurosqu’ilacontribuéàrapatrierdescomptes suisses des Bettencourt entre 2007 et 2009 et il sort. Soitilpersisteàaffirmerquecesespècesneluiétaient pas plus destinées qu’à Eric Woerth ou à Nicolas Sarkozy et il doit payer le prix de son silence. Dans tous les cas, il est la « balance » potentielle la plus célèbre de France. Cruelle déchéance pour cet homme bien né, descendant par son père de Joseph de Maistre, le philosophe pourfendeur de la Révolution,etparsamèredeladynastieindustrielle des Japy, alliée à la non moins célèbre famille Peu- geot.Parlera,parlerapas ?Etqu’a-t-ilàdire ?Toutou peut-être rien. Voilà les candidats à l’élection prési- dentiellesuspendusàseslèvres,scrutantlamoindre fuite de procès-verbal. Voilà l’éminence grise, qui n’aime que les conciliabules feutrés, en pleine lumière.Le5novembre2008,c’estdansleplusgrand secret qu’il avait accompagné Liliane Bettencourt jusque dans le bureau de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, avant, si l’on en croit les domestiques de l’hôtel par- ticulierdeNeuilly,defairerépéteràlavieilledamele laïus destiné au chef de l’Etat : « Monsieur le prési- dent, je vous ai soutenu pour votre élection présiden- tielle, maintenant j’ai des problèmes graves avec ma fille… » C’est aussi en toute discrétion que le zélé conseiller s’est mis en cheville avec un avocat de Genève,RenéMerkt(quigérajadislesfondsd’Alfred Sirven), pour vider une partie de la cagnotte suisse des Bettencourt. Deux fois 400 000 euros en février et en avril 2007, deux fois un million d’euros en 2008 et à nouveau trois fois 400 000 euros en 2009, récu- pérés,enliquide,grâceàunsystèmeditde« compen- sation » bien connu des spécialistes de la fraude fis- cale.« M.etMmeBettencourtme[l’]ontdemandé.(…) J’ai accepté. (…) Je le regrette et j’aurais été bien plus tranquille si j’avais refusé », a reconnu Patrice C ’était quelques jours avant son incar- cération, le 23 mars dernier, à la pri- son de Gradignan. Patrice de Maistre déjeune à Paris avec l’un de ses plus vieux amis, Bernard Balestier, un gynécologue marseillais installé au Gabon « depuislesévénementsdeMai-68 ». Ce jour- là, le Français d’Afrique voit un « type défait qui vit l’enfer depuis trois ans ». Comme il peut, il tente de rassurer celui qu’il appelle pour rire « Monsieur le comte ». Mais Patrice de Maistre ne rit pas. « Patrice », comte ou pas comte, redoute sa convo- cation au tribunal de Bordeaux. Il tremble à l’idée deseretrouverunenouvellefoisfaceaujugeGentil. « Il avait une peur bleue, dit le médecin à l’accent chantant. On sentait le gars traqué, capable de tout étaler. Croyez-moi, s’il savait quelque chose sur Sarkozy, il l’aurait déjà dit. » Surlecontinentnoir,PatricedeMaistrecomptede fidèlessoutiens.Là-bas,iln’estpasencoremarquéau fer rouge par l’affaire Bettencourt. Et ne se résume pasàlacaricaturedecourtisanaffairéqu’ilestdevenu en France : un homme à particule, posant en cache- mire devant les cerfs sanguinolents de sa dernière chasse, ex-grand chambellan de la femme la plus riche de France, membre de tous les clubs où il faut êtrevu,assiduàl’hôtelBristolavecd’autresdonateurs fortunésdel’UMP,décorédelaLégiond’honneurpar l’ex-ministre Woerth. Et, pour finir… détenteur sup- posé de lourds secrets sur le financement de la cam- pagneprésidentielledeNicolasSarkozyen2007(voir encadré).Désormais,c’estleprésident-candidatque l’amateur de battues mondaines est censé tenir au bout de son fusil. Le rôle ferait peur à n’importe qui. Heureusement,enAfrique,deMaistrereste« Patou », lesurnomaffectueuxqueluidonnentlesintimesqui ne l’ont pas abandonné. C’est la face exotique de l’expert-comptable aux manièrespolicées:depuisprèsdetrenteans,ilfaitdes affaires au Gabon. Ce pays, où l’on n’a cure de ses déboiresjudiciaires,estrestéjusqu’àsonincarcération son jardin secret et son havre de paix. A ce jour, per- sonne ne lui a demandé de quitter le conseil d’admi- nistration de la BGFI (Banque gabonaise et française internationale),lepremierétablissementfinancierde larégion,quisuccèdeàlasulfureuseFiba(l’ex-banque d’ElfauGabon).Ledirecteurgénéraldugroupe,Henri- Claude Oyima, petit-neveu d’Omar Bongo et grand argentier du régime, lui conserve toute son amitié. Comme Robert Boutonnet, alias « Bob », un autodi- dacte qui a fait fortune dans la chaîne du froid, puis fondé la Compagnie du Komo, une holding qui contrôle des pans entiers de l’économie gabonaise. PatricedeMaistreenaétélecommissaireauxcomptes jusqu’au milieu des années 2000. Depuis, « Patou » l’aristo et « Bob » le « broussard » – c’est ainsi que se présenteBoutonnet,unjeunehommede80ans–sont associés dans un fonds d’investissement (Brinon) : « On achète de petites entreprises qu’on rentabilise et qu’on revend. Patou est très près de ses sous, je sais qu’avecluil’argentneserapasgaspillé. » L’enquête Eric et Florence En 2007, de Maistre a recruté Florence Woerth dans la société qui gère la fortune de Liliane Bettencourt. Il venait de se faire décorer de la Légion d’honneur par Eric Woerth, alors en poste au Budget et trésorier de l’UMP. L’ex-ministre a été mis en examen pour « trafic d’influence passif » et « recel à raison d’une présumée remise de numéraire qui lui aurait été faite par Patrice de Maistre ». mélaniefrey-réservoirphoto/ericfeferberg-afp L’argent de Liliane Patrice de Maistre est aussi accusé d’avoir abusé de la faiblesse de la milliardaire. « J’ai une profonde admiration pour cette femme dont l’intelligence et le jugement m’ont toujours paru exceptionnels », a-t-il répliqué lors de ses auditions. Et de préciser : Elle « n’a pas d’états d’âme ». Elle « a dirigé voire instrumentalisé beaucoup de gens et l’inverse me paraît bien improbable ». 14 LeNouvelObservateur26 avril 2012 - n° 2477 deMaistredevantlejugeavantdesimplement lâcher : « L’argent a été mis à leur disposition et je ne saispascequ’ilsenontfait. »Contrairementauxpre- mières sommes remises à la milliardaire dans son hôtel particulier de la rue Delabordère, les livraisons del’année2009ontd’abordtransitéparlebureaude Patrice de Maistre. « L’affaire [Banier] commençait à défrayer la chronique et il y avait souvent des journa- listesdevantledomiciledeMmeBettencourt »,s’est-il justifié.Ladiscrétiontoujours...PatricedeMaistrefait partiedecespersonnagesquisansjamaisapparaître sur le devant de la scène politico-financière en sont pourtant les rouages indispensables. I l tisse sa toile depuis longtemps. Et rien ne l’agaceplusqued’êtreconfonduavecunnobliau deprovince(ilavécuàMulhouse)soudaingrisé par les fastes d’une milliardaire. « Depuis qu’il est en culottes courtes, Patrice fréquente des gens importants,assuresonamid’enfanceBernardLozé, dirigeantd’unesociétéd’investissementetfiguredu capitalisme français.Aprèsledivorcedesesparents, il a été élevé par son beau-père François Spoerry, architecte de renom, concepteur de cités lacustres (dontPort-Grimaud),amid’HarounTazieff,dePaul- Emile Victor, de Goscinny et d’une kyrielle de ministres. » Adolescent, le jeune Patrice est invité dans les chasses de la famille Peugeot. Depuis, avec d’autres fils de famille rencontrés à Dauphine, à Sciences-Po ou, plus tard, dans les conseils d’admi- nistrationdesgrandesentreprises,iln’acessédetra- quer le gibier de l’Espagne à l’Ecosse. Membre du Conseil international de la Chasse qui réunit gros propriétairesterriensetfusilsdelahaute,dontleroi Juan Carlos, il a évidemment sa carte du très sélect L’enquête C’est d’abord une chronologie qui nourrit les soupçons de financement illégal de la campagne de Nicolas Sarkozy. Les dates des transferts de fonds de la Suisse vers la France, par l’intermédiaire de Patrice de Maistre, sont en effet troublantes. Pour la très sensible année 2007, le premier versement a lieu le 5 février, soit quarante-huit heures avant un rendez-vous entre de Maistre et Woerth. Le deuxième versement date du 26 avril. Le même jour, Banier rapporte dans son journal intime cette confidence de Liliane Bettencourt : « De Maistre m’a dit que Sarkozy avait encore demandé de l’argent. J’ai dit oui. Comment puis-je savoir s’il le lui donne vraiment ? » « De la romance », a rétorqué Patrice de Maistre devant les juges. Quant à l’objet de sa rencontre avec l’ex-ministre et trésorier de l’UMP, « nous évoquions, croit-il se souvenir, la campagne électorale et à l’époque je souhaitais lui parler de cette suggestion concernant les petites et les moyennes entreprises en France ». Pour étayer Pour Nicolas Sarkozy, l’affairedeMaistreneserait qu’une«boulepuante». christophemorin-ip3/micheleuler-ap-sipa Le choc de la prison Patrice de Maistre est à ce jour le seul des protagonistes du « Bettencourtgate » à dormir derrière les barreaux. Un moyen d’obtenir d’hypothétiques aveux ? Ses avocats Jacqueline Laffont et Pierre Haïk (sur la photo) dénoncent une détention pression. François Fillon, lui, s’en est publiquement « étonné » et a laissé entendre qu’elle était motivée par des arrière-pensées politiques. Jockey Club. Et ses entrées dans le Tout-Libreville depuis son premier mariage, en 1981, avec la fille de RolandBru,richeexploitantforestierauGabondans lesannées1950.ProchedesréseauxFoccart,cemissi dominici de la Françafrique lui a ouvert les portes ducontinentnoir–jusqu’ausaintdessaintsduclan Bongo, la BGFI. Quand il monte une succursale de son cabinet d’audit parisien dans la capitale gabo- naise, de Maistre est surnommé « Monsieur Gendre ». En 2001, l’expert-comptable qui vient de se mettre au service de Liliane Bettencourt, épouse Anne Dewavrin, issue d’une lignée d’industriels du textile et ex-femme de Bernard Arnault, le PDG de LVMH. Bottin mondain et famille recomposée. « Dansl’harmonie »,précisentlesproches.« Antoine Arnault[filsdeBernardetadministrateurdeLVMH] est un inconditionnel de Patou, assure Robert Bou- tonnet. Il envoie des SMS partout pour dire qu’il ne faut pas le laisser tomber. » DutempsoùPatricedeMaistrecouvaitlesmilliards de Liliane Bettencourt, il était l’un des hommes les pluscourtisésdelaplacefinancière.Sespairslouaient sa technicité en matière de comptabilité. Les grands patrons se souvenaient qu’il avait audité Bic, Air France ou L’Oréal. Lindsay Owen-Jones, l’ex-PDG de la marque de cosmétique qui l’avait introduit auprès del’octogénairedeNeuilly,jouaitaugolfaveclui.Les gérants de portefeuille se battaient pour lui proposer sicav ou obligations. Aujourd’hui, les mêmes se pin- centlenezdevantlalistedesdélitsquiluisontrepro- chés. Abus de faiblesse au détriment d’une vieille femme malade, abus de confiance, abus de biens sociaux,escroquerieaggravée,blanchiment,finance- ment politique illégal ! Triste loser du quin- leurs soupçons, les juges ont cependant une foule d’autres indices. A commencer par les accusations de l’ex-comptable Claire Thibout qui affirme avoir remis à de Maistre 50 000 euros destinés à Woerth. De Maistre lui en aurait d’abord réclamé 150 000, avant de lâcher : « Heureusement qu’il y a les comptes en Suisse. » Les juges disposent aussi des témoignages d’une dizaine d’employés de maison qui assurent avoir vu Nicolas Sarkozy chez les Bettencourt au printemps 2007. Ils ont enfin une botte secrète : en 2009, près de 1,2 million d’euros ont été rapatriés, soit le montant dont Patrice de Maistre avait besoin pour acheter un bateau, estiment les magistrats. De quoi nourrir les supputations : si l’argent n’est pas allé aux politiques, aurait-il atterri dans les poches de l’ex-gestionnaire de fortune ? Vue de l’esprit, s’agace l’intéressé. Après avoir suggéré à « Liliane » de faire venir de Suisse un petit pactole lui permettant d’assouvir sa passion de la voile, il a, dit-il, renoncé à ce projet qui n’était pas très « convenable ». M.-F. E. “Heureusement, il y a les comptes en Suisse…” 16 LeNouvelObservateur26 avril 2012 - n° 2477 L’enquête Bons fusils, bons amis Patrice de Maistre lors d’une chasse aux cerfs en Espagne en 2003, en compagnie de Robert Peugeot (derrière lui sur la photo) et de l’homme d’affaires Bernard Lozé. A Brinon-sur-Sauldre, en Sologne, où il possède des terres, Patrice de Maistre tire plutôt sur les faisans. Pascal Wilhelm ciblé C’est de Maistre qui a fait entrer Pascal Wilhelm, qui fut d’abord son avocat, dans l’entourage de Liliane Bettencourt. Me Wilhelm a par la suite pris sa place auprès de la milliardaire. Désormais accusé par Françoise Meyers de faire partie des « prédateurs » qui ont abusé de sa mère, il dément et attend sa convocation pour s’expliquer. quennatfinissant.Perquisitionné,emprisonné et,impardonnablefautedegoût,exposéàlacuriosité du grand public. Ses conversations avec la milliar- daire,enregistréesclandestinementparlemajordome de feu André Bettencourt, puis divulguées dans la presse,l’onttué,sedésolentsesproches.Ilestdevenu la risée des dîners en ville. Toujours méticuleux, il avait pourtant fait ausculter deux fois la demeure de sapatronnepardes…anciensdelaDGSEetduGIGN qui n’ont pas su détecter un simple petit magnéto- phone.Surlesécoutespirates,onl’entendquémander une rallonge à la généreuse Liliane pour acheter le « bateau de [ses] rêves ». S’inquiéter de comptes en Suisse qu’il faudrait déplacer à Singapour pour déjouerlefisc.Attiserleressentimentdel’héritièrede L’Oréalcontresafilleetsongendre,FrançoiseetJean- Pierre Meyers. Tempêter mollement contre les excès de François-Marie Banier qu’il n’a jamais aimé mais aveclequeliladûcomposerpourconserversonposte. Superviser le licenciement de tous les membres du personnel susceptibles de trahir. « C’est bizarre, les juifs vont toujours là où il y a de l’argent », lance-t-il aussi un jour sur un ton badinàMmeBettencourt,oubliantpeut-êtrequeson père Eugène Schueller, le fondateur de L’Oréal, avait été membre de la très antisémite Cagoule. « A cause decetteplaisanterie,Patrice,quiesttoutsaufraciste, s’estmislacommunautéjuiveàdos, ose son ami Ber- nard Lozé, le richissime spécialiste du conseil en investissement. Récemment, un grand ponte de la finance s’en est encore offusqué devant moi. Pourtant cette phrase sur les juifs et l’argent n’est pas tout à fait fausse. Regardez les oligarques russes, regardez ceux quiontréussienAmériqueouenEurope.Jeledisd’au- tantplusfacilementquej’aiunegrand-mèreCohen… » P atrice de Maistre est un bon catholique, très croyant, assistant régulièrement à la messe. Il n’a pas été chez Liliane Bettencourt parce qu’« il y a de l’argent » mais parce que, a-t-il expliqué devant les juges de Bordeaux, elle lui a fait « l’honneur de [le] considérer pour ce travail au sein d’une famille dont le prestige et la discrétion sont à l’époque bien établis ». Il estime à près de 18 millions d’euroslesémolumentsqu’elleluiaversés(unebaga- tellefaceau« milliard »deBanier)etsetarguedeles justifier au centime près. De ses salaires (entre 1 et 2 millions d’euros par an) à la donation en prévision de sa « retraite » (5 millions) en passant par ses indemnitésdedépart(encoreprèsde5millions)enté- rinésparFrançoiseMeyerselle-même,dansle« pro- tocole d’accord » qu’elle a signé avec sa mère lors de la « réconciliation » de décembre 2010. « Je tiens à soulignerquelaquasi-totalitédesbiensquejepossède ontétéacquisavantquejetravaillepourlafamilleBet- tencourt. Mon appartement à Paris, ma maison à la campagne, des bureaux à Paris, 40% d’un immeuble àMarseille,5%d’uneimportantebanquedontlesiège est au Gabon et mon bateau “la Désirade” acheté en janvier2004 », a-t-il assuré lors de ses auditions. « Patrice n’est pas un détrousseur de vieille dame », affirme Philippe Vassor, ancien président du grand cabinetd’expertisecomptableDeloitte&Touche,oùde Maistreaforgéunepartiedesacarrière.Ilfaitpartiedes fidèlesquin’ontpasreniéleuramitiéavecledétenude Gradignan. « Vous croyez que ce grand professionnel a été placé auprès de Mme Bettencourt seulement parce qu’il sait comment tenir une tasse de thé ? Il n’est pas arrivélàparhasard.Ilaunecompréhensiondumonde des affaires et un carnet d’adresses hors du commun. » Peut-être. Mais les juges bordelais cherchent à savoir au service de quels intérêts ou de quels réseaux d’in- fluence il a mis ses précieuses connexions. Devant la milliardaire (et le magnétophone espion du major- dome), Patrice de Maistre s’est imprudemment vanté deconnaîtrelesintentionsduprocureurCourroye,un prochedeNicolasSarkozy,alorsenchargedu«dossier Banier ».Oude«voirrégulièrement »leMonsieurJus- ticedel’Elysée,PatrickOuart.Cemagistrat,habituéaux allers et retours dans le privé, a été, chez LVMH, le conseillerdeBernardArnault,lepremiermaridel’ac- tuelleMmePatricedeMaistre.Lemondede« Patou » est si petit. En 2007, il n’a rien trouvé de mieux que d’embaucher, dans le family office de l’héritière de L’Oréal, Florence Woerth, l’épouse d’Eric alors en charge du budget et de l’administration fiscale ! Le mêmeWoerthoccupait,àl’époque,lesfonctionsdetré- sorier du parti présidentiel et dirigeait le Premier Cercle, le club des riches donateurs de l’UMP dont Patrice de Maistre était lui-même adhérent. Il avait d’ailleurs incité dès septembre 2006 André et Liliane Bettencourt à verser leur obole (7 500 euros chacun, plafond prévu par la loi) : « Nous avons convenu avec M.Woerthquevouspourriezfairedéposer[leschèques] àsonintention,au55,ruedelaBoétie,Paris8e . » Des« coïncidences »quinesuffisentpasàfairede l’expert en comptabilité un porte-valise de la sarko- zie, disent des proches du président. Selon eux, Patrice de Maistre serait la victime de basses manœuvrespréélectorales.Unesorted’otagedel’in- térieur,kidnappépar« ceuxquiveulentabattrelechef de l’Etat ». Pour le moment, les dernières nouvelles delaprisondeGradignansontrassurantes.« Patou » a fait savoir à ses amis que, malgré son double pon- tageetsarécenterécidivecardiaque,ilarefuséd’être mis à l’isolement. Il bénéficie d’une cellule indivi- duellemaisaffrontedignementsescodétenuslorsde la promenade. Marie-France Etchegoin dr/patrickkovarik-afp 18 LeNouvelObservateur26 avril 2012 - n° 2477 L’ hom m e de l a s e m a i n e j e a n-m ich e l gou da r d Derdesder J e suis l’homme qui n’existe pas », Jean- Michel Goudard a le sens de la formule. Remarquez, c’est son métier, le slogan, le positionnement, la stratégie. En ce qui le concerne, c’est plus que ça. Depuis que ce grand de la com est venu flirter avec la politique, il a passé un contrat avec lui-même : agir sous une cape d’invisibilité. Sitôt sorti du Falcon du président-candidat venu en meeting ou en déplacement, il file en coulisse, loin des médias. Silhouette noire armée d’une éternelle sacoche en cuir, il rejoint la loge privée quand son champion arrive sur le plateau d’une chaîne. A la veille du second tour, il sera là lors de l’ultime et unique duel entre Nicolas Sarkozy et François Hol- lande. Invisible, comme toujours. Et essentiel à « Nicolas ». Il est à 72 ans un conseiller très spécial. Et un ami à part. Sa fortune lui permet de ne pas être rémunéré par l’Elysée. Il a refusé la Légion d’nonneur, n’a jamais été encarté quoique gaulliste depuis toujours. Ce qu’il est le seul à pouvoir dire au prince pèse du poids de cette liberté-là. Le jour de son investiture, Nicolas Sarkozy avait envoyé une escorte à son domicile dans le 16e arrondisse- ment de Paris pour avoir à ses côtés l’artisan du suc- cès. « On avait fêté la victoire quinze jours avant en 2007 », se souvient l’homme en noir. En 2012, c’est la gauche qui goûte déjà l’élixir du pouvoir. « Il y a des nuages... », euphémise-t-il. Depuis qu’il promène son regard de myope sur la politique, il a tout vécu : la défaite de Chirac en 1988, « une belle pâtée » ; la revanche éclatante du grand Jacquesalorsqu’ilétaitdonnépourmortcontreBal- ladur en 1995, le traumatisme de 2002… A sa cin- quièmeprésidentielle,ils’enesttrouvéàl’UMPpour sedemandersi«papyGoudard»n’avaitpasperdula main avec sa « France forte ». Un slogan semblable à celui utilisé autrefois par Giscard et qui aujourd’hui revientcommeunboomerangàlafaceducréatif.Sur la photo, la mer est toujours bleue et calme mais le visage de Nicolas Sarkozy a disparu : « Libération » à l’originedecedétournementtitrait,àlaveilledupre- mier tour, « La gauche forte ». Dans l’esprit du stra- tège, cet adjectif – fort – visait en creux l’adversaire –faible – même si Goudard, depuis le début, tient François Hollande pour un rival dangereux car « humble et intelligent ». Mais à la guerre comme à la guerre. «Lecandidatestlemessage» : cette règle d’or de la communication politique, il la tient de Roger Ce grand de la com, à la discipline de fer et à l’humour distancié, vit sa cinquième campagne présidentielle. Conseiller en stratégie, peut-il encore sauver le président ? bio express 1939 Naissance à Montpellier. 1975 Création de RSCG. 1988 Campagne présidentielle de Chirac. 1991 Président international d’Euro RSCG. 1995 Président de BBDO international. Campagne présidentielle de Chirac. 2006 Prend sa retraite. 2007 Campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy « Ensemble, tout devient possible ». Devient conseiller en stratégie du chef de l’Etat. 2012 « La France forte ». Ailes – l’homme de la victoire de Reagan et de Bush père–qu’ilafréquentélorsdesesannéesdebusiness aux Etats-Unis et il n’en déroge pas. « Undeuxièmemandatsejouesurlecaractère,pas surlebilan,nousexpliquait-ilenjanvier,etuncarac- tère se construit lentement et se change lentement. » N’est-ce pas justement ce tempérament, agressif, solitaire,prêtàtoutdeNicolasSarkozy,unjourréga- lien, un autre clivant, qui est aujourd’hui rejeté ? « Lagaucheatoujourseudutalentpourcaricaturer : lecoupd’EtatpermanentpourdeGaulle,lescoupsde menton de Chirac… » Lui, « Nicolas » l’éblouit, l’émeut. Il l’aime toujours même si ce n’est plus très tendance. Les deux hommes se fréquentent depuis si longtemps. En 1992, ils étaient les témoins de Claude Chirac lors de son premier mariage. Alors queladroitesedéchiraittroisansplustard,Goudard se rendait à l’anniversaire des 40 ans de Sarkozy : « Seul chiraquien au milieu de trente-neuf balladu- riens ! » A l’époque, il était le G de l’agence RSCG et la politique n’était qu’une « détente ». Il signe pour prendre les rênes de BBDO International avant même la proclamation de la victoire de Chirac en 1995.NewYork-Tokyo-Shanghai… letourdumonde en business class devient son ordinaire, les dollars rentrent à flots dans les agences qu’il réorganise, tranchantsanstrembler,partageuràl’heuredeslau- riers. Ses haltes à Paris, il les réserve à Chirac et à Sarkozy. « Il avait le double talent d’être un grand patron et un grand créatif, ce qui est rare », se sou- vient Claude Chirac. La retraite venue, il aurait pu rejoindresonappartementdeRolle,cevillagesuisse nichéaubordduLémanoùilaimevoirpasserJean- Luc Godard dans ses fringues froissées, il aurait pu profiter du soleil dans sa maison des Alpilles entre deux grandes corridas. Mais « Nicolas » l’a appelé. Et il aime tant en être, de ces joutes électorales qui vous fouettent le sang. La dernière manche n’est pas la plus facile. Alors, plus que jamais, il cultive le secret, s’astreint lui l’épicurien à sa discipline d’ermite. Vélo autour de Longchamp, salle de sport tôt le matin, pour s’atte- ler ensuite à cette note qu’il enverra de chez lui au président. « N’oubliezjamais,c’estun“proctérien”, nous avait prévenus Jacques Séguéla. Sarkozy n’aime pas les tête-à-tête et Goudard préfère l’écrit. Sorti d’HEC, il a fait ses armes chez Procter & Gamble et en a gardé la méthode. Une à deux pages oùlebaratinestproscritetl’auteurdoitsemouiller : LeNouvelObservateur26 avril 2012 - n° 2477 mot à mot Jean-Michel est un personnage assez unique, qui sort du cadre. Claude Chirac problématique-background-recommandation. Depuis cinq ans, il mouline ainsi toutes les actuali- tés, tous les sujets. Même les plus sensibles comme lorsqu’il préconise un mea culpa sur le Fouquet’s pour gommer les séquelles du début de mandat, ce « présidentdesriches » qui colle à la peau du candi- dat… Les jours sans déplacement, rasé de frais au milieu de l’après-midi, il rejoint l’Elysée en voiture officielle. Pendant une heure, il réunit dans son bureau Patrick Buisson, l’influent analyste poli- tique, et Pierre Giacometti, le spécialiste des son- dages. Quand ça tangue, il lance, rigolard et ferme : « On ne va tout de même pas aller devant Nicolas en s’engueulant… » Dans le bureau présidentiel, ses deux comparses parlent. Lui, souvent, se tait. Une fois, il a fait défaut à son champion quand on lui a découvert un pemphigus, une grave maladie auto-immune qui ronge le derme. Elle lui a imposé plusieurs hospitalisations à Marseille. Il en a profité pour écrire un roman qui se déroule pendant la guerre de l’opium. A coups de cortisone, il défend sa peau. Quand on s’inquiétait de sa santé, il avait cou- tume de répondre : « Ça va, je suis en train de cre- ver ! » Ces derniers temps, il dit : « Si je guéris aujourd’hui,Nicolasenestresponsable.Jevisunevie formidable. »Etilfileàl’anglaise,gentlemanoriginal, stratège en quête de martingale. Marie Guichoux laurenttroude-fedephoto 20 LeNouvelObservateur26 avril 2012 - n° 2477 24 monde 26 planète 28 economie 30 médias 32 société 34 tendances t él éphon es rouges Politique Matignon Moscovici-Valls : la course à Varenne « La nouvelle de ma mort a été très exagérée! » Réagissant aux rumeurs qui le donnent en perte de vitesse, Pierre Moscovici paraphrase Mark Twain. Le directeur de campagne de François Hollande critique ainsi tous ceux qui, dans l’entourage du candidat socialiste, tirent la couverture à eux. « S’ils croient impressionner Hollande de cette façon, ils se trompent. Cette publicité est contre-productive… », confie aussi Moscovici. En ligne de mire: Manuel Valls qui n’hésite pas, lui, à afficher ses ambitions. Révélation de cette campagne, l’omniprésent directeur de la communication de Hollande ne cache pas son désir d’enfiler les habits de Premier ministre. « Je connais très bien Matignon », glisse avec malice celui qui a été le conseiller presse de Jospin de 1997 à 2002. Et de décrire les recoins de l’hôtel du 57, rue de Varenne. Avant de se tourner vers l’ancienne plume du même Jospin et d’insister: « Avec Aquilino [Morelle], on pourrait très vite s’y installer! » Sylvain Courage et Julien Martin Le Jaurès de Baylet Le président du PRG et de « la Dépêche du Midi », Jean-Michel Baylet, a profité du déplacement de François Hollande le 16 avril à Carmaux (Tarn) et de l’hommage rendu à Jean Jaurès pour rappeler que le héraut du socialisme n’avait pas été que le fondateur de « l’Humanité »: « Jaurès a écrit 1100 papiers dans “la Dépêche”. Il y avait encore un édito écrit de sa main le matin de sa mort. Sans compter qu’il était aussi le chroniqueur littéraire de notre journal sous le pseudonyme “le liseur” ! » Aubry snobe Hollande « Mais où est Martine? » Etonnement de François Hollande à l’issue du grand rassemblement de Lille, le 17 avril. Malgré l’hommage qu’elle lui avait adressé à la tribune, la première secrétaire du PS et maire de la ville a filé sans même le saluer, dès la fin du meeting. Pas de pot de l’amitié, ni de collation, ni de petit comité dans la loge du Grand Palais… Hollande, interloqué, a repris la route pour Paris accompagné de Pierre Moscovici et de Lionel Jospin. Un manque d’attention? chamussy-chesnot-sipa/P.huguen-J.demarthon-afp Cinq ans de mandat avec sursis Le PS avait gelé l’investiture aux législatives dans la 12e circonscription des Hauts-de-Seine dans l’attente du jugement en appel de Pascal Buchet, poursuivi pour harcèlement moral. Le maire de Fontenay-aux-Roses a vu sa peine confirmée et même alourdie: six mois de prison avec sursis. L’investiture pourrait alors échoir à Juliette Méadel, membre de l’équipe de campagne de François Hollande et conseillère municipale dans le 14e arrondissement de Paris en charge des relations avec les communes limitrophes. Les “hollandais” flottants Les « hollandais », les vrais, sont inquiets! La guerre des places fait rage dans l’entourage du candidat. « Françoisva-t-ilsesouvenirdesesamis ? » s’interroge un proche. Depuis quelques semaines, le sujet occupe les déjeuners du mercredi à la questure du Sénat. François Rebsamen, André Vallini, Jean-Yves Le Drian, Stéphane Le Foll, Bruno Leroux et Faouzi Lamdaoui, qui se réunissent à cette occasion, ne veulent pas être les victimes de l’ascension des anciens ennemis au PS: Fabius, Aubry, Valls ou Moscovici… Martin s’en va-t-en-guerre Réactionimmédiatede l’entouragedeNicolas Sarkozyàl’annoncedu soutiendeMartinHirsch àFrançoisHollande: lesecrétairegénéralde l’Elysée,XavierMusca, adécrochésontéléphone pourrappelerau présidentdel’Agencedu Serviceciviqueson « devoirderéserve ». Hirschaalorssouligné l’engagementdanslacampagneduprésidentsortant deSalimaSaa,présidentedel’Agencenationalepour laCohésionsocialeetl’EgalitédesChances.Musca, gêné,n’apuquerétorquer:« Ahoui…Jevaisvérifier sivousavezlemêmestatut… » Le silencieux de Villepin Jean-Pierre Grand, président de République solidaire, le parti de Dominique de Villepin, estime que celui-ci « n’aaucunintérêtàprendreposition » entre les deux candidats du second tour: « S’ildit qu’ilvoteHollande,onval’accuserd’alleràlasoupe; s’ilditqu’ilsoutientSarkozy,çavafairesouriretout lemonde. » Grand considère que Villepin a « une vraiecarteàjouer » en cas de recomposition de la droite. Il ne voit qu’une difficulté pour l’ancien Premier ministre: « LeproblèmedeDominique, c’estqu’ilpeutêtreuntrèsbonprésidentdela République,maisilnepeutpasêtrecandidat… » 22 T é l é phon e s roug e s 1er mai Chérèque menace Mélenchon Le secrétaire général de la CFDT, François Chérèque (photo), le promet: si la traditionnelle manifestation intersyndicale de la Fête du Travail, le 1er mai prochain, tourne à la démonstration de force du Front de Gauche de Jean-Luc Mélenchon, il quittera le cortège en faisant « un esclandre »! Le syndicat de la deuxième gauche pourrait même défiler de son côté, voire ne pas y participer, si le risque se précise en amont: un bureau national se tiendra dans l’entre-deux-tours pour en décider. Un risque augmenté par la participation de nombre de cadres et militants de la CGT à la campagne de Mélenchon. A chaque meeting, les drapeaux de l’organisation dirigée par Bernard Thibault fleurissaient. Le candidat du Front de Gauche, le 14 avril à Marseille, a d’ailleurs appelé à poursuivre « l’insurrection citoyenne » commencée durant la campagne par un « 1er -Mai stupéfiant d’unité et de puissance », même s’il assure officiellement que le Front de Gauche sera « derrière » les syndicats. Pas devant… Julien Martin Joly souvenir Savoureuse anecdote de campagne contée par Bastien François, candidat EELV aux législatives dans la 18e circonscription de Paris, sur son compte Facebook: « Cematin,unedames’approche,prend montract,désignelevisaged’EvaJoly.Hésite,pose sondoigtsurlaphoto,medit:“C’est,c’est…”Je complète:“EvaJoly,candidatedesécologistesà l’électionprésidentielle.”“Oui,jesais,medit-elleen souriant,ellem’acondamnéeà18moisferme! » Vengeance verte « Unjour,ilfaudraanalyserlafaçondontj’aiété traitéeparlapresse », a récemment confié Eva Joly. La candidate écolo, déjà auteure de plusieurs livres sur sa vie et d’un polar, réfléchit à le faire elle-même après la présidentielle: « Ilyaeubeaucoupde détestationetrienquiméritaitcela », dit-elle, pointant du doigt « leséditorialistesdécatis,décalés, quiontunpoidstropgranddanslasociété ». Le Pen vote Carla… Dans la famille Sarkozy, Jean-Marie Le Pen choisit… Carla! Le président d’honneur du FN ne tarit pas d’éloges sur l’épouse du chef de l’Etat: « Carlaatenusonrôledefaçonparfaitementdigne. D’abord,c’estlaprésidentelaplusdécorativeque nousayonseue,etcen’estpasnégligeable », confie-t-il d’un ton égrillard. Etpuisellen’estpas intervenuedanslaviepolitiquedupays,ellen’est jamaisvenuejouerdelaguitaresurleperronde l’Elysée… » Au FN, on a toujours cultivé une certaine idée de la femme. … et Hulot choisit Mélenchon L’adversairemalheureuxd’EvaJolyàlaprimaire EuropeEcologie-lesVertsn’apasapportéson soutienàl’anciennemagistrate.Etpourcause:celui quiareprislesrênesdesafondationafaitsavoirà plusieursdesesinterlocuteursqu’ilentendaitvoter pourJean-LucMélenchon.L’ex-animateurdeTF1 avaitappréciélescomplimentsducandidatduFront deGaucheaucoursdecetteprimaire,puisavait affirméqu’ilsignerait « desdeuxmains »la « planificationécologique »défendueparMélenchon. Politique en hausse Chantal Jouanno Le courage est une donnée suffisamment rare en politique pour ne pas le souligner lorsqu’il se manifeste. Pour avoir osé déclarer qu’elle avait « des raisons personnelles d’être contre Nicolas Sarkozy », en prenant soin de préciser qu’elle « voterait pour lui car il est le seul à oser affronter les problèmes de la France », l’ex-ministre des Sports et actuelle sénatrice UMP de Paris s’est attiré les foudres de plusieurs cadres de son parti. Difficile de faire ne serait-ce qu’un pas de côté. en baisse Eric Woerth L’ancien ministre UMP du Budget, mis en examen dans l’affaire Bettencourt, s’en est violemment pris à Eva Joly sur Twitter après les déclarations de celle-ci exigeant des « éclaircissements » dans la même affaire: « Joly est indigne d’être candidate à la présidentielle… Les Français s’en rendent compte! Heureusement pour la démocratie! » Uneinfoàtransmettre ?jmartin@nouvelobs.com emilepol-alfred-ibo-sipa/Miguelmedina-afp
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