NUMERO n°159 - Page 1 - Ont collaboré à ce numéro Miles ALDRIDGE, Andrew AYERS, Chloé BADAWY, François BERTHOUD, Damien BLOTTIÈRE, Cecilia BOWE, Constance BRETON, Belén CASADEVALL, Stéphanie COOPER-SLOCKYJ, Jessica CRAIG-MARTIN, Fernando DAMASCENO, Manon DEL COLLE, Rebecca DE VOLKOVITCH, Victor DEMARCHELIER, Stéphane FEUGÈRE, Robbie FIMMANO, Noémie GOUDAL, Sophie HOUDRÉ, Olivier JOYARD, Greg KADEL, Clara LE FORT, Spela LENARCIC, Thomas LEGRAND, Elliot LEWIS, Clément LOMELLINI, Yves MIRANDE, Guido MOCAFICO, Matteo MONTANARI, Alberto NARDUZZI, Mario PALMIERI, Pascale RENAUX, Sean J. ROSE, Stéphane SEDNAOUI, Alexandra SOPHIE, Jessica STRELEC, TANIA ET VINCENT, Camille-Joséphine TEISSEIRE, Nicolas TREMBLEY, Éric TRONCY, Txema YESTE Publicité Lagardère Publicité: 10, rue Thierry-Le-Luron, 92300 Levallois-Perret Constance BENQUE présidente Caroline POIS-BOISSON directrice générale adjointe, tél.: 0141348311, caroline.pois@lagardere-pub.com Emmanuel LALA directeur commercial, tél.: 01413483 95, emmanuel.lala@lagardere-pub.com Frédérique CHALMETON directrice de la publicité, tél.: 0141348223, frederique.chalmeton@lagardere-pub.com Gunes AKDORA directrice de clientèle, tél.: 0141348624, gunes.akdora@lagardere-pub.com Clémence JOCKEY directrice de clientèle, tél.: 0141348498, clemence.jockey@lagardere-pub.com Julie GOYHENECHE assistante de publicité, tél.: 0141348370, julie.goyheneche@lagardere-pub.com Correspondant italien: JB MEDIA (Milan), Jeffrey BYRNES, tél.: +390229013427, jeffrey@jbmedia.com Relation abonnés/Vente anciens numéros Par téléphone: 0144848020, par courrier: Everial CRM, 123, rue Jules-Guesde, CS70029, 92309 Levallois-Perret Cedex Tarif France métropolitaine: 44 € (1 an pour 10 numéros) Abonnez-vous en ligne ou commandez d’anciens numéros sur www.numero-magazine.com ou numeroabo@dipinfo.fr Distribution France Presstalis Ventes (dépositaires et diffuseurs exclusivement), tél.: 0156889805 Distribution à l’étranger: Export Press Réglages réseau: À Juste Titres Imprimerie: Druckhaus Kaufmann, Lahr (Allemagne) Numéro est édité par Numéro Presse SAS (40109,34 €) Siège: 5, rue du Cirque, Paris VIIIe . RCS Paris B 418 680 054. Durée de la société: 99 ans. Tous droits de reproduction réservés. Numéro CPPAP: 0715K 78678. ISSN 1292-6213. Dépôt légal à parution. Éditions internationales Numéro Tokyo: Fusosha Publishing Inc., directrice de la publication: Akiko Sakagushi. Numéro China: Modern Media Co., Ltd., directeurs de la publication: Thomas Shao et Alain Deroche. Numéro Russia: Artcom Media Group, directrice de la publication: Gala Gladkikh. Numéro Thailand: Fond Publishing International Co., Ltd, directrice de la publication: Amornsiri Boonyasit. Numéro n°159 décembre 2014-janvier 2015 Paul-Emmanuel REIFFERS Directeur de la publication Babeth DJIAN Directrice de la rédaction assistée de Leslie KALFA Samuel FRANÇOIS Rédacteur en chef mode Delphine ROCHE Rédactrice en chef magazine Mode Rebecca BLEYNIE, Spela LENARCIC, Irina MARIE, Vanessa METZ, Sheila SINGLE, Charles VARENNE Magazine Thibaut WYCHOWANOK rédacteur en chef adjoint Philip UTZ rédacteur at large Alexandra DEJEAN secrétaire générale de la rédaction Franck MONTEL rédacteur-réviseur François CASTRILLO assistant de la rédaction Beauté Laurence HOVART rédactrice en chef beauté Aude BOISSOU assistante de la rédaction Digital Margaux REIFFERS directrice des activités digitales Service artistique Blandine CHABANI directrice artistique Jérôme VERBRACKEL graphiste Cécile LIOTIER graphiste Production photo Yan SUN chargée de la production photo Guillaume BOURDET directeur de casting Administration Grégory REIFFERS directeur administratif et financier Alla NEGER comptable Promotion/Diffusion/Numérique Jérémy RIBEIRINHO chargé de diffusion, print et digital tél. : 01 56 88 98 05 Rédaction: 5, rue du Cirque, Paris VIIIe . Standard-accueil, tél: 0156889800, fax: 0156889838 Pour envoyer un e-mail à votre correspondant, tapez l’initiale de son prénom suivie de son nom et de @numero-magazine.com Printed in U.E. Guest list Miles Aldridge photographe “Pour réaliser la série “Divine”, je me suis inspiré d’une citation de Salvador Dalí qui, lorsqu’un journaliste lui avait demandé s’il se droguait, avait répondu : ‘Je ne me drogue pas, je suis la drogue!’” explique Miles Aldridge, qui signe pour ce Numéro une série mode féerique (p. 158). Ce goût pour les couleurs acides et gaies, le photographe anglais le tient de son père, directeur artistique féru de psychédélisme, qui a notamment travaillé avec les Beatles. Récemment publié aux éditions Rizzoli, son livre Miles of M.A.C retrace l’ensemble de ses clichés pour M.A.C Cosmetics. Nicolas Trembley critique d’art et commissaire d’exposition Pour Nicolas Trembley, le monde de l’art, c’est avant tout lots of fun. Des réjouissances dont il se fait l’écho chaque mois dans son “Art diary” (p. 92), pour notre plus grand bonheur. Avec cette chronique aussi pertinente qu’impertinente, le commissaire d’exposition (Socle(s), actuellement à l’Institut curatorial de la Head à Genève) et conseiller de la collection suisse Syz (exposée à ArtGenève en janvier) révèle avec esprit les dessous du milieu. Depuis toujours, son œil avisé repère également pour Numéro les jeunes talents de l’art contemporain. Exceptionnellement, ce mois-ci, Nicolas s’est pourtant prêté au jeu de la rencontre avec un artiste consacré, le Danois Olafur Eliasson qui a répondu à son fameux questionnaire “Dans l’atelier de…” (p. 94). 42 Guest list Robbie Fimmano photographe C’est à New York, en septembre dernier, quelques heures avant le défilé d’Anthony Vaccarello pour Versus, que Robbie Fimmano réalise pour ce Numéro (p. 54) les portraits du talentueux créateur et de Donatella Versace. Débutant sa carrière à Sydney, dont il est originaire, le jeune photographe australien s’installe aux États-Unis à tout juste 21 ans et voit défiler dans son studio Robert De Niro, Andrew Garfield ou encore Michael Fassbender. Robbie vit et travaille désormais à New York où il collabore au magazine Interview et au T Magazine du New York Times. Alexandra Sophie photographe Très jeune photographe mais également artiste, Alexandra Sophie grandit en Franche-Comté où elle fait ses premiers pas en réalisant des portraits éthérés de jeunes filles de son âge, à l’aide d’appareils photo jetables. Travaillant essentiellement à la lumière naturelle, elle s’intéresse à la féminité et également au féminisme. Pour Numéro, elle signe “The Girl from Outer Space” (p. 184), une série “à la limite du réel” et imagine “une femme venue d’un autre monde, une extraterrestre évoluant sur une planète au-dessus de laquelle coexistent trois soleils”. Son travail est exposé à la galerie Openhouse de New York, mais également dans divers espaces et festivals au Japon, au Mexique, en Italie, en Espagne ou encore au Royaume-Uni. 44 159 Édito “Ce sont les étoiles, les étoiles tout là-haut qui gouvernent notre existence”, écrivait William Shakespeare dans Le Roi Lear. Aujourd’hui, nul besoin de télescope pour admirer les astres. Qu’elles illuminent le grand écran, les murs des galeries d’art ou les pages de papier glacé, les étoiles n’ont jamais semblé si proches. À l’instar de Rosario Dawson, actrice incandescente et irrévérencieuse, dont le sourire rayonne en ouverture de ce Numéro. L’artiste chinois Cai Guo-Qiang crée, quant à lui, au moyen de feux d’artifice, des architectures éphémères qui semblent autant de constellations suspendues entre ciel et terre. Le photographe Miles Aldridge compose une fresque bouleversante autour du destin d’une étoile filante perdue dans un paradis artificiel. Cet étrange pouvoir magnétique, ce ballet fou des astres en proie à leur propre intensité polarisent nos existences pour les rendre plus électriques. Babeth 49 Par Olivier Joyard, portraits Greg Kadel Lucky Star Sacré numéro De son premier rôle mythique dans le film Kids de Larry Clark, Rosario Dawson, ex-enfant des squats new-yorkais, a conservé une grâce sauvage qui a séduit les plus grands réalisateurs indépendants, de Spike Lee à Quentin Tarantino. À l’affiche de Captives, le mystérieux thriller d’Atom Egoyan, la belle actrice aujourd’hui âgée de 35 ans fascine par sa capacité à passer d’un blockbuster à un film confidentiel avec la même liberté. Rencontre. 50 En revanche, si j’avais continué à vivre comme je vivais très jeune, je crois que je serais devenue folle. Cela aurait été comme une claque dans la figure de cette gamine volontaire que j’étais au début. Je suis fière de l’endroit d’où je viens, comme je suis fière d’en être sortie.” Pour Rosario Dawson, les tournages font donc parfois office de cours du soir ou d’université tardive. Fréquenter un érudit quinquagénaire comme Atom Egoyan l’a passionnée. “Travailler avec des gens de cette stature me procure une éducation. Certains réalisateurs sont aussi mes professeurs. Atom mangeait avec toute l’équipe au déjeuner. Il avait une vision très claire de son film, mais on parlait de tout, dans une atmosphère d’ouverture au monde. Nous avons évoqué les jeunes Nigérianes qui ont été enlevées, les enfants soldats utilisés dans les guerres en Afrique…” Passer de l’univers de Sin City – blockbuster plein de bruit et de fureur –à un film plus contemplatif et mystérieux comme Captives, tel est le quotidien d’une actrice dont les choix semblent guidés par la passion des rencontres. En effet, de sa filmographie se dégage moins une ligne directrice esthétique qu’une cohérence dans le profil des réalisateurs avec lesquels elle a tourné. Larry Clark, Tony Scott, Kevin Smith, Robert Rodriguez, Quentin Tarantino, notamment. “La plupart font partie des cinéastes indépendants de référence… C’est de cette manière que je suis née au cinéma, et l’esprit indie me touche toujours. Malgré tout, chacun possède son style propre et je suis présente avec joie dans des mondes ultra-différents.” Dans un film à grand spectacle ou un drame dépressif, Rosario Dawson s’engage sans regarder en arrière. Pour peu qu’on l’accepte telle qu’elle se présente, sans lui demander de se plier à un ordre des choses intenable pour elle. Le matin où nous la rencontrons, elle arbore une surprenante coiffure dite “mohawk” – cheveux rasés d’un côté du crâne, longs de l’autre. Personne au-dessus de 25 ans n’oserait l’assumer comme elle le fait, sa beauté est même renversante. Quelqu’un lui aurait-il demandé de se Sacré numéro La plupart des spectateurs ont croisé Rosario Dawson pour la première fois dans la peau d’une ado agitée devant la caméra de Larry Clark. Elle avait tout juste 15 ans et illuminait le mythique Kids, sommet du cinéma indépendant des années 90. L’éternelle jeune femme que nous rencontrons pour la présentation d’un film d’Atom Egoyan, au dernier Festival de Cannes, lui ressemble absolument. Rosario Dawson a beau avoir prêté son image à tout le spectre de l’entertainment hollywoodien, ses traits sauvages et sa manière de parler portent les stigmates d’une vie complexe, parfois furieuse, toujours vécue à grande vitesse. La définition d’une personne intéressante. Dans Captives, du même réalisateur que l’élégant thriller De beaux lendemains (1997), elle interprète une policière blessée par la vie, embarquée dans une enquête sur la disparition de jeunes filles. Si le film n’est pas spectaculaire, regarder la comédienne évoluer dans l’espace suffit pour ressentir une joie teintée de mélancolie. Rosario Dawson, par son naturel, parvient à se raconter de manière très personnelle, quel que soit le film et son sujet. La définition d’une actrice intéressante. “J’ai construit des ponts évidents entre ma vie et le personnage de Nicole dans le film. Toutes les deux, nous regardons notre passé en face. Il nous influence, mais pas forcément d’une manière négative. Nous avons pu en tirer des leçons pour devenir plus puissantes. Moi, je suis née à Coney Island, j’ai grandi dans un squat du Lower East Side à New York, et tant de choses arrivent dans cette situation. Une texture du monde différente se révèle. Je ne cache pas qu’il y a eu des moments difficiles et de la dureté dans ma vie, mais maintenant, en tant qu’actrice qui voyage et découvre la planète, je me dis que j’ai pu grandir dans Manhattan en étant pauvre, ce qui ne serait plus possible à notre époque. J’ai connu une ville pleine de vibrations à un jeune âge, accédé à une variété de cultures assez incroyable. Aujourd’hui, je suis saine d’esprit parce que j’ai utilisé certaines épreuves pour me renforcer. “J’ai construit des ponts évidents entre ma vie et le personnage de Nicole. Toutes les deux, nous regardons notre passé en face. Il nous influence. Nous avons pu en tirer des leçons pour devenir plus puissantes.” 52 coiffer ainsi ? Évidemment, non. “Si vous regardez la photo de profil de ma mère sur Twitter, elle porte un ‘mohawk’. Elle s’était rasé la tête pour ses 40 ans. J’ai grandi avec des femmes qui avaient perdu leurs cheveux ou qui les rasaient. J’ai toujours pensé le faire. Là, je me suis arrêtée juste au milieu ! J’ai débarqué comme ça sur le plateau de Sin City – J’ai tué pour elle. On m’a laissée tranquille. Chris Rock, avec qui j’ai tourné récemment, m’avait autorisée à conserver la même coiffure. J’aime cette liberté.” Avec Tarantino, sur le tournage de Boulevard de la mort (2007), Rosario Dawson s’est plutôt laissé faire. Elle a éprouvé la méthode intense du réalisateur de Pulp Fiction. “Quentin est du genre à interdire les téléphones portables et les magazines sur le plateau. Il met de la musique assez fort, pour que chacun l’entende et partage un moment en commun. Il demande toute notre attention pendant qu’il nous donne la sienne à 100 %. Tout le monde se sent concerné par le film et participe à sa création. Et puis, on a envie d’entendre toujours une fille de NYC, j’y retournerai au moment de la retraite.” Au rythme où vont les choses, ce sera probablement dans un certain temps. Dawson vient de signer pour apparaître dans une série, ce nouvel eldorado créatif auquel il paraît difficile d’échapper. Elle jouera le personnage de Claire Temple dans l’adaptation de Daredevil par Drew Goddard pour Netflix. L’occasion, une fois de plus, de mettre en avant son sens de l’action et son physique hors norme d’amazone contemporaine. Mais en 2015, Rosario Dawson doit aussi s’occuper d’un autre film, Kids, pour cause de commémoration. Elle avoue ne l’avoir jamais revu depuis sa sortie en 1995. “Il y a un mois et demi, cela aurait été le quarantième anniversaire de l’un des acteurs, Harold Hunter [skateur de formation, cette figure de la rue new-yorkaise est décédée en 2006]. Larry Clark a retrouvé des rushes provenant de Kids où il figurait. Il les a projetés lors d’une soirée spéciale. Beaucoup de skateurs sont venus à cette occasion, j’ai revu des gens que je n’avais pas croisés depuis longtemps, comme Priscilla Forsyth, et c’était génial. Je vois régulièrement Chloë Sevigny, Harmony Korine [scénariste du film] et Larry. Je suis fière d’eux. Je suis toujours heureuse quand j’apprends que Harmony tourne un nouveau film ou que Chloë a décroché un rôle. Elle est belle et incroyable, je l’adore totalement. Quand on tournait Kids, elle prétendait qu’elle ne referait jamais de cinéma. Je lui répondais : ‘Ouais, c’est ça… T’es trop bien, tu n’y échapperas pas !’ J’ai un rapport toujours très fort à ce film et cela me rend triste de penser que certaines personnes ne sont plus avec nous. En fait, c’est la raison pour laquelle je ne l’ai pas revu depuis longtemps.” Pour certains, ce sont les albums de photos personnelles ou les home movies mal cadrés qui réveillent les ors de la mémoire. Pour Rosario Dawson, il s’agit d’une œuvre d’art que tout le monde peut voir. C’est son bonheur et peut-être sa croix : personne n’oubliera la jeune femme qu’elle a été. Captives d’Atom Egoyan. Sortie le 7 janvier 2015. Quentin Tarantino nous raconter ses histoires, nous faire découvrir un morceau… L’implication se fait naturellement.” Aujourd’hui, Rosario Dawson a quitté New York et navigue au gré des projets entre Londres et Los Angeles. Elle a failli revenir habiter “sa” ville mais y a renoncé. Elle préfère vivre “dans sa valise”, selon sa propre expression. “J’ai vécu quelques mois à San Francisco quand j’étais jeune, la Californie est en moi, même si je ne suis pas fan de L.A. Sur la côte ouest, j’adore l’accès direct à la nature, pouvoir enchaîner quasiment dans la même journée plage, désert et montagne… C’est un endroit vraiment vivifiant, sauf en ce qui concerne les tremblements de terre!” Par contraste, les visites à New York sont toujours l’occasion d’intenses bouffées de folie urbaine et de souvenirs personnels. “Je reste une New-Yorkaise pur jus, c’est toujours génial de retrouver le brouhaha de la ville, les gens qui s’énervent au volant… J’arrive là-bas et je me sens chez moi. Je serai Sacré numéro “Ma mère s’était rasé la tête pour ses 40 ans. J’ai toujours pensé le faire. J’ai débarqué comme ça sur le plateau de Sin City – J’ai tué pour elle et on m’a laissée tranquille. Chris Rock, avec qui j’ai tourné récemment, m’avait autorisée à conserver cette coiffure. J’aime cette liberté.” 54 Esquisse Numérique:MaryGebhardt.Retouche:MariaFimmano Propos recueillis par Delphine Roche, portraits Robbie Fimmano La galaxie Versace Blondissime madone de la mode italienne, Donatella Versace, vice-présidente du groupe Versace, propose depuis 2009 à de jeunes créateurs prometteurs de réaliser des collections pour Versus. Après Christopher Kane et J.W. Anderson, le Belge Anthony Vaccarello présentait donc, en septembre dernier, son interprétation de cette ligne iconique. Numéro a rencontré le duo de choc à New York pour un entretien croisé. Pendant la dernière Fashion Week new-yorkaise, le défilé Versus figure dans le peloton de tête des événements les plus attendus : Anthony Vaccarello présente une première collection pour cette ligne créée en 1989 par Gianni Versace. Donatella Versace, blondissime vice-présidente du groupe Versace, a décidé en 2013 de placer Versus entre les mains du créateur belge. Ce rapprochement semble une évidence : le style sensuel de Vaccarello, nuancé d’une rigueur nordique, fait de lui le candidat idéal pour donner une interprétation contemporaine de Versus. Ce que confirme sa première collection, parfaitement aboutie : une vision de la femme Versace revue à l’aune des lignes droites et des découpes acérées propres à Anthony Vaccarello. Équilibrant les fentes, les profonds décolletés en V et les jupes très courtes qui sont autant de signatures du designer, des bermudas, des chemises d’inspiration masculine et des pantalons soulignent sa nonchalance parisienne. Numéro a rencontré Donatella Versace et Anthony Vaccarello pour recueillir leurs confidences. Numéro : Donatella, vous suivez avec attention le travail d’Anthony depuis son diplôme de La Cambre. Qu’est-ce qui vous a immédiatement séduite? Quels sont les points communs entre vos styles respectifs? Donatella Versace : J’ai été conquise par son talent dès son tout premier défilé. J’ai immédiatement pensé : “Mon Dieu ! C’est tellement Versace !” Mais sa vision est très fraîche, très nouvelle. Ses lignes ont une précision clinique qui contrebalance la sensualité générale du vêtement. Ce que j’aime particulièrement chez lui, c’est que son style est très graphique. On peut comprendre la forme, la ligne, en un clin d’œil. Anthony Vaccarello : Donatella et moi parlons tous les deux à une femme assumée et sensuelle. La mienne a simplement un côté plus français, plus nonchalant, que j’ai essayé de transposer chez Versus. À mes yeux, la 57 femme Versace est une guerrière, qui porte le vêtement comme une arme de séduction, alors que chez moi, la femme prend le dessus sur ce qu’elle porte, sa personnalité domine toujours. Ma collection pour Versus est une synthèse de l’héritage de cette ligne mythique et de mon travail sous mon propre nom. J’aime l’idée qu’une femme puisse mêler, sur une même silhouette, des pièces d’Anthony Vaccarello et de Versus. Les supermodels des années 90, photographiées par Richard Avedon dans ses campagnes iconiques, ont joué un rôle important dans la construction du mythe de Versace. Les top models contemporains se reconnaissent dans vos collections, Anthony, au premier rang desquels Anja Rubik, qui est aussi votre amie. Est-ce un point commun essentiel entre l’univers de Versus et le vôtre? Anthony Vaccarello : C’est un point commun essentiel, oui. Dans mes défilés, la fille qui porte le vêtement est cruciale, sa beauté doit être sublimée et non enterrée sous un déguisement. Le maquillage de mes shows est toujours très léger, la fille est prise pour être elle-même, tout est fait pour mettre en avant son énergie, sa personnalité. Anthony, vos collections en nom propre déclinent principalement le noir et le blanc, et c’est aussi le cas de votre première collection Versus. Mais l’esprit pop de cette ligne a toujours été lié, entre autres, à l’usage de la couleur. Donatella, Anthony, comment avez-vous résolu ensemble cette équation? Donatella Versace : Le fait qu’Anthony n’emploie jamais de couleurs, à l’exception parfois d’un rouge ardent et presque électrique, m’a toujours plu. Ce choix radical appuie le caractère graphique de son style. Nous avons donc décidé que la première collection Versus d’Anthony déclinerait uniquement le noir. On oublie “À mes yeux, la femme Versace est une guerrière, qui porte le vêtement comme une arme de séduction, alors que chez moi, la femme prend le dessus sur ce qu’elle porte, sa personnalité domine toujours.” Anthony Vaccarello souvent que la première collection Versus, en 1989, était presque entièrement noire. Je l’ai d’ailleurs montrée à Anthony, qui était fasciné de la découvrir. Anthony Vaccarello : J’ai voulu commencer cette collection comme une page blanche, concentrée sur la ligne, et Donatella m’a octroyé une totale liberté créative. Cependant j’ai proposé un imprimé, car cela me semblait incontournable. Il est inspiré d’un imprimé foulard que Gianni avait fait dans les années 90, mâtiné d’un esprit un peu BD, comme emprunté au fameux sitcom Sauvés par le gong, ce qui m’amène assez loin de mon territoire naturel [rires]. Pour la génération des trentenaires à laquelle vous appartenez, Versace représente un véritable fantasme. Nous avons grandi avec les photographies mythiques de Richard Avedon pour Versace, avec les stars habillées en Versace de pied en cap. Aviez-vous en tête toute la collection avant même de commencer à la dessiner? Anthony Vaccarello : J’appartiens à la génération MTV. Lors des MTV Awards, des Grammy Awards, les stars portaient du Versace, qu’il s’agisse de Madonna, d’Elton John ou de Prince. Ce sont les images que j’ai en tête lorsque je pense à cette maison. La musique pop était alors indéfectiblement liée à la mode. Ces images m’ont tellement imprégné qu’au moment de la signature du 58 Esquisse “Lady Gaga m’intriguait énormément par l’intelligence avec laquelle elle a construit son univers. Elle m’a abordée en me disant que j’étais son icône. Pour l’habiller, je lui ai ouvert les archives de Gianni.” Donatella Versace contrat, j’avais déjà 50 croquis prêts à être réalisés. J’avais besoin d’exorciser ce souvenir de la femme des années 90, dans les campagnes mythiques d’Avedon ou de Bruce Weber. Donatella Versace : J’étais sciée, car la collection était déjà presque terminée après notre première rencontre ! En juillet, tout était fini. C’était parfait, car le fait de vendre les pièces online dès la fin du show exige cette rapidité. Avez-vous tout de même jeté un coup d’œil aux archives? Anthony Vaccarello : Oui, et c’était un vrai plaisir. J’ai découvert des pièces de Gianni que je ne connaissais pas. C’était très émouvant, car je décelais aussi des convergences entre son style et le mien. Qu’apporte le fait de défiler à New York? Anthony Vaccarello : Paris correspond à la haute couture. La Fashion Week de Milan est commerciale. Versus a toujours défilé à New York. Cette ville incarne une fraîcheur, une jeunesse qui ne sont pas trop strictement codifiées. C’est cette Fashion Week qui correspond naturellement à Versus. Donatella, pourquoi cette décision visionnaire de vendre la collection en ligne dès la fin du défilé? Donatella Versace : Pour être fidèle à son esprit originel, Versus doit aujourd’hui être lié au monde digital. Pouvoir se faire livrer la collection entière deux jours après qu’elle a défilé, c’est tout simplement essentiel, car il est absurde de devoir attendre. On a ainsi le sentiment de s’approprier une partie du défilé, quelque chose d’iconique, ce qui souligne le caractère festif de Versus. Comment délimitez-vous les territoires respectifs de Versus et de Versace? Donatella Versace : Versus montre simplement un autre aspect de la femme Versace, qui peut être tour à tour bourgeoise, audacieuse, cool ou rock’n’roll. J’aime favoriser la rencontre de différentes énergies, d’où cette collaboration entre la chanteuse M.I.A. et Versus en 2013. M.I.A. est une star incroyable, si créative. Qu’il s’agisse de Lady Gaga ou de Jennifer Lopez, les pop stars font aujourd’hui encore partie de la famille Versace. Avez-vous le sentiment d’être vous-même une icône pop? Donatella Versace : [Rire timide.] Je ne sais pas ce que je représente pour J. Lo ou Lady Gaga. J. Lo est adorable, une vraie personne et un vrai talent. Quant à Lady Gaga, elle m’intriguait énormément par l’intelligence avec laquelle elle a construit son univers. Elle m’a abordée en me disant que j’étais son icône. Pour l’habiller, je lui ai ouvert les archives de Gianni, car n’importe qui peut habiller une pop star de nos jours, il faut donc se montrer un peu plus audacieux. J’aime réellement travailler avec ces pop stars, je serais d’ailleurs incapable de faire quoi que ce soit pour des raisons de pur marketing. Avez-vous pour le moins le sentiment d’incarner cet esprit festif que vous mentionnez souvent, qui a quelque peu disparu de la mode? Donatella Versace : La mode n’est plus une fête parce que les managers ne laissent plus de place à la créativité. Or, sans les créatifs, ils ne sont rien.
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