NUMERO n°163 - Page 1 - Guest list Jean-Baptiste Mondino photographe “C’est toujours un immense plaisir de croiser la belle Lou, éternelle voyageuse avec sa guitare. Elle est à la fois libre et créative… Et mon objectif l’aime aussi!” confie Jean-Baptiste Mondino à l’issue de sa rencontre avec Lou Doillon. Photographe et réalisateur internationalement reconnu, Jean-Baptiste sublime depuis plus de trente ans musiciens de légende et personnalités iconiques. Pour ce Numéro, il signe le portrait de la ravissante chanteuse (p. 30). Michal Pudelka photographe Né à Bratislava, Michal rêve de travailler dans la mode depuis son plus jeune âge. C’est en réalisant les clichés de ses créations, alors qu’il étudie à la Parsons Paris, que le jeune autodidacte prend goût à la photographie. Il dévoile ainsi son univers onirique et décalé, empli de femmes aux allures de nymphes, telles les trois Grâces de sa série “Feu de camp” (p. 138). Désormais installé à Londres, Michal réalise aujourd’hui les campagnes publicitaires de la marque Valentino. Sofia Sanchez et Mauro Mongiello photographes “Rose, c’est une véritable artiste, une personne unique”, s’enthousiasme le duo de photographes Sofia Sanchez et Mauro Mongiello, qui réalise pour ce Numéro le portrait de l’actrice américaine Rose McGowan (p. 40). “Tout comme nous, elle adore le groupe Joy Division, et lors du shoot, elle nous a donné ses meilleures adresses pour visiter le sud des États-Unis. Elle a un sens de l’humour remarquable et allie le glamour hollywoodien à une attitude plus punk, ce qui la rend d’autant plus fascinante.” 24 Guest list Éric Nehr photographe “Jonathan Anderson a cette beauté des hommes romantiques qui osent regarder le soleil en face, un homme d’imagination à la William Blake”, explique Éric Nehr qui, pour cette édition, photographie le talentueux directeur artistique de la maison Loewe (p. 36). Collaborateur régulier de Numéro, Éric vit et travaille à Paris, où il réalise des portraits d’une justesse saisissante. Omar Macchiavelli photographe Après avoir étudié l’art à Bologne, Omar Macchiavelli s’installe à Milan où il perfectionne sa technique photographique. Il se fait connaître rapidement pour ses clichés de la scène underground internationale dans des magazines comme Free, en collaboration avec Nicola Formichetti, et Paper. Pour ce Numéro, il a photographié le peintre Sam Falls (p. 68) à la Galerie Franco Noero, à Turin. “Je suis fasciné par la connexion si particulière qu’il entretient dans son art avec la nature”, confie, impressionné, Omar Macchiavelli. Frederic Auerbach photographe Frederic Auerbach vit entre Paris et Los Angeles. Pour ce Numéro, il a su capter, avec une grande subtilité, le glamour de Julia Cumming, égérie Saint Laurent Paris et chanteuse du groupe pop Sunflower Bean (p. 46). “Quand on prend des photos d’une personnalité, on souhaite qu’elle soit sensible, drôle, brillante, intense, curieuse. Tous ces vœux se sont justement réalisés le 28 mars, quand elle est entrée sur notre set à Hollywood”, commentet-il avec enthousiasme. 26 Édito “L’amour n’est qu’un feu à transmettre, le feu n’est qu’un amour à surprendre”, écrivait le philosophe Gaston Bachelard dans La Psychanalyse du feu. Pour passer le flambeau de la passion qu’il faudrait toujours garder intacte en soi, Numéro choisit de consacrer cette édition aux âmes ardentes qui expriment leur vérité avec foi. À l’instar de Lou Doillon, qui vit son métier de musicienne comme une nécessité intérieure, un feu sacré à transmettre au monde. Ou de Jonathan Anderson, le talentueux directeur artistique de Loewe, qui a su souffler sur les braises d’une maison endormie pour la ranimer. La sulfureuse comédienne Rose McGowan, quant à elle, a su mettre à profit son tempérament volcanique pour se réinventer et éviter de se brûler les ailes à Hollywood. C’est en attisant leur propre feu que ces esprits libres ont su bousculer les conventions pour mieux enfiévrer notre époque. Babeth 163 Propos recueillis par Christophe Conte, portraits Jean-Baptiste Mondino, réalisation Vanessa Metz Le feu sacré La force et la beauté intimiste de son premier album, Places, avaient révélé la ravissante Lou Doillon en musicienne à part entière. Alors qu’elle vient de terminer l’enregistrement de son deuxième opus, la chanteuse nous dévoile ses sources d’inspiration. Rencontre. Assistantstyliste:ClémentLomellini.Maquillage:TatsuYamanakachezMarie-FranceThavonekham.Coiffure:PaoloFerreirachezCalliste.Retouche:EvaGarrecchezJanvierLab.Numérique:EdwigeBultinck.Production:AfifBaroudichezIconoclastImage Sacré numéro 30 Chapeau “Zeebo” en feutre, big aristote. Gourmette “Moujik” en vermeil, saint laurent par hedi slimane. Avec Places, son premier album, Lou Doillon a déjoué tous les pièges que lui tendaient son arbre généalogique surchargé et son statut de comédienne et de mannequin passant à la chanson. L’éblouissant succès de l’année 2012 et les triomphes de la tournée qui suivit, la fille de Jacques Doillon et de Jane Birkin ne les doit assurément qu’à elle-même. À ses folk songs à la fois aériennes et profondes, à la présence magnétique de sa voix, à l’effervescence partagée de concerts où elle semblait entrer en résonance intime avec chacun. Mais si ce premier coup de maître fut sécurisé par la présence à bord d’Étienne Daho, ami de la famille et réalisateur bienveillant, elle n’aura pas souhaité bouturer les mêmes lauriers pour son retour en studio. C’est donc l’ombrageux et rugueux Taylor Kirk, le cerveau canadien de Timber Timbre, qu’elle a choisi pour mettre en scène son second album à paraître à la rentrée. Loin du confort qui s’offrait à elle, Lou la frondeuse a préféré la mise en danger et l’excitation d’un enregistrement polaire à Montréal, avec un garçon moins affable qu’un ours qu’elle aura toutefois réussi à apprivoiser. De cette aventure marquée par le deuil de sa demi-sœur, Kate Barry, et par l’envie d’y survivre avec bravoure, elle raconte aujourd’hui, depuis sa cuisine, la longue ébullition. Numéro : Que retenez-vous, aujourd’hui, de la manière dont s’est fait votre premier album? Lou Doillon : Je ressens la même chose que lorsque j’ai accouché. Deux jours après, je n’avais aucun souvenir d’avoir été enceinte. Là, maintenant, je n’ai pas l’impression que tout ça est vraiment arrivé. Ou alors, c’était un rêve, un super rêve, mais je me sens incapable de refaire ça… Je n’ai pas du tout l’impression que les choses sont sur des rails mais, au contraire, j’ai le sentiment de tout devoir recommencer à zéro. Comment s’est passée la transition entre le moment où vous avez arrêté de tourner et le moment où il a fallu se plonger dans l’album suivant? Je n’ai pas arrêté d’écrire, notamment à la fin de la tournée, parce que je sentais que le moment arrivait où il allait falloir passer à l’étape suivante. Malheureusement, ce sont Sacré numéro 32 les circonstances de la vie qui ont précipité les choses. Lorsque ma sœur Kate est décédée, j’ai interrompu la tournée avec un mois d’avance sur la date prévue. Il n’y a donc pas eu de dernière date, de ces moments d’adieux toujours très émouvants. Je me sentais amputée, par la vie et dans mon travail. La survie est passée par la guitare, et par l’écriture un peu hystérique de nouvelles chansons. J’ai même réuni mes musiciens de scène dès le mois de mars de l’année dernière pour enregistrer dans l’urgence, sans prendre le temps de chercher un producteur, parce qu’il fallait que ça sorte. Jusqu’à l’été dernier, j’étais sur une énergie quasi animale, j’avais besoin de chanter, les chansons sortaient de partout, et c’est seulement en septembre que j’ai compris que je n’allais pas pouvoir enregistrer cet album comme le premier, en dix jours, mais qu’il allait falloir se poser et prendre un peu plus de temps. Ce fut douloureux de devoir s’arrêter pour prendre du recul? C’était nécessaire en tout cas. J’ai tout détruit plusieurs fois pour tout reconstruire, j’ai travaillé avec des gens différents sur des pistes qui ne conduisaient à rien, et je me suis retrouvée au mois de décembre avec quasiment plus rien. J’ai même songé à faire un album guitare-voix pour couper court à tout. Pendant cette année où j’ai traversé pas mal de hauts et de bas, j’écoutais en boucle le dernier album de Timber Timbre, Hot Dreams, et je me suis dit que la solution était peut-être là. J’ai donc demandé à ma maison de disques de contacter Taylor Kirk, elle m’a alertée sur le fait que j’allais m’adresser au type le plus renfermé que l’on puisse imaginer, qui vit sans téléphone, ne communique que par e-mail et n’a jamais collaboré avec personne. C’est justement ça qui m’a amusée. Comment êtes-vous parvenue à le convaincre? Je crois qu’il a aimé mon opiniâtreté. On se parlait par Skype et il faisait tout pour me décourager de travailler avec lui. Finalement, je me suis vue débarquer chez lui un 27 décembre, au moment où tout le monde était en train de fêter Noël, période que, pour mille raisons familiales, j’avais à cœur de fuir. J’ai déboulé par moins 28 degrés à Montréal, chez un Veste en gabardine à col en cuir matelassé, chemise en georgette de soie, pantalon en mohair, lavallière en soie et gourmette “Moujik” en vermeil, saint laurent par hedi slimane. “J’ai déboulé le 27 décembre à Montréal, chez un type que je n’avais jamais rencontré, qui est venu me chercher dans un pick-up avec sa tête de tueur en série, et pourtant, en quelques jours, on est parvenus à faire les trois quarts de l’album.” 34 “Ma conception de la musique, c’est de faire du patin à glace sur un lac à peine gelé, en pleine nuit et sans éclairage. Or, en travaillant avec d’autres producteurs, j’avais eu l’impression de me retrouver pendant huit mois sur une patinoire olympique, en pleine lumière, avec l’obligation de faire un triple salto arrière.” type que je n’avais jamais rencontré, qui est venu me chercher dans un pick-up avec sa tête de tueur en série, et pourtant, en quelques jours, on est parvenus à faire les trois quarts de l’album et à s’accorder parfaitement sans trop savoir pourquoi ni comment. Je suis revenue à Paris le 2 janvier, avec enfin la certitude d’être sur la bonne route. Qu’est-ce qui vous a particulièrement attirée dans la musique de Timber Timbre? Ce qui me plaît avant tout dans un album, c’est l’ambiance, l’odeur des murs. Et je me suis rendu compte que s’il y avait quelque chose que je ne pouvais pas gérer dans un album, c’était ça, l’odeur des murs. J’avais aussi besoin de grands espaces, et comme la Californie est un peu trop ensoleillée pour ma musique, il restait l’Amérique du Nord. Que ce soit chez Leonard Cohen, Neil Young ou Lhasa, j’ai toujours été fascinée par cette espèce de no man’s land, avec des routes à l’infini, qui, pour moi, constitue le meilleur décor pour mes chansons. En plus, dans la musique de Taylor, il y avait quelque chose d’un peu inquiétant, lié à des atmosphères nocturnes, dans lequel je me suis retrouvée. Après avoir travaillé avec un ami, Étienne Daho, sur le premier album, vous recherchiez une forme d’hostilité? C’était sans doute inconscient. Ça m’amusait de travailler avec un type qui n’était pas charmé. Mais je n’avais pas l’intention de me mettre trop en danger. J’aime beaucoup mon père, mais je n’ai pas le goût du sabotage qui est celui des Doillon. Étienne, déjà, ne se laissait pas facilement charmer, avec Taylor, c’était encore plus rugueux. Il lui arrivait de me mettre une guitare ou un gong entre les mains et de me dire “Vas-y, fais-le”, alors qu’il aurait très bien pu tout réaliser lui-même. Il a pourtant fait l’impossible pour me dissuader de travailler avec lui, en me disant que si j’avais envie de vendre 5 000 albums, j’avais frappé à la bonne porte, et je pense que c’est ma certitude que ça pouvait fonctionner entre nous qui lui a plu au final. Vous partagez ce goût de la mise en danger? J’ai utilisé une image pour le convaincre, je lui ai dit que ma conception de la musique, c’était de faire du patin à glace sur un lac à peine Sacré numéro gelé, en pleine nuit et sans éclairage. Or, en travaillant avec d’autres producteurs, j’avais eu l’impression de me retrouver pendant huit mois sur une patinoire olympique, en pleine lumière, avec l’obligation de faire un triple salto arrière, avec un groupe qui reste sur le bord pour m’accompagner comme une princesse. Ce que je voulais, au contraire, c’était rester sur mon lac, avec un vrai musicien qui accepte que la glace puisse se fendre à tout moment. Cela n’avait aucun sens de partir sur des productions à la Adele ou à la Amy Winehouse, ça ne me correspond pas. Taylor Kirk est un fan de cinéma, cette particularité a-t-elle joué? Il a commencé par des études de cinéma et, le plus incroyable, c’est qu’il a fait son mémoire de fin d’études sur Ponette, le film de mon père ! Comme il passe par ailleurs son temps à t’expliquer qu’il est bipolaire, je ne suis même pas certaine qu’il avait fait le rapprochement avec mon nom [rires]. Le cinéma a fonctionné comme un langage commun, parce que je lui expliquais les chansons comme des scénarios et qu’il trouvait l’ambiance idéale en raisonnant comme s’il devait faire une musique de film. Le drame que vous avez traversé a-t-il eu une incidence sur vos textes? Toutes les chansons que j’ai écrites pour ma sœur, ou dans cette énergie-là, ne seront pas sur l’album parce que ça me mettrait mal à l’aise. J’ai abandonné aussi une chanson que j’avais écrite avant sa mort, qui avait pour sujet la chute, et qui me paraissait difficile à jouer sans expliquer que ça avait été pensé avant. Mais finalement, toutes celles qui n’ont a priori rien à voir y sont totalement connectées. Je suppose qu’elle est planquée partout inconsciemment. Kate, avec ma sœur Lola, était celle qui était vraiment la plus attentive à mon travail de musicienne. C’est la seule qui, dans ma famille, a pris cette histoire très au sérieux dès le départ. C’est aussi pour cette raison, pour elle, que j’ai trouvé l’énergie de continuer quand j’étais tentée de tout arrêter. Ce qui est troublant, c’est que le titre de travail de l’album était Hold on and Let It Go [Accroche-toi et continue]. Après ce qui s’est passé, je me suis posé la question de savoir si je pouvais le garder ou pas. D’ailleurs, je me la pose encore. Tee-shirt en coton, american vintage. Veste vintage. Bracelets “Cobra” en vieil argent, onyx et vermeil, et gourmette “Moujik” en vermeil, saint laurent par hedi slimane. Bagues et montre personnelles. Propos recueillis par Delphine Roche, portrait Éric Nehr Le conquérant Numéro : vous avez connu une ascension fulgurante, votre ego a-t-il explosé ou parvenez-vous à garder les pieds sur terre? Jonathan Anderson : Je me dis qu’après tout, il ne s’agit que de mode. Et parfois le succès arrive si vite qu’on n’a pas le temps de s’en rendre compte. J’ai compris soudain que j’étais responsable de deux équipes créatives, celle de ma propre marque et celle de Loewe. La réalité du travail quotidien aide cependant à garder les pieds sur terre. On dit que tout est allé très vite pour moi, mais j’ai créé ma première collection de prêt-à-porter masculin il y a bientôt neuf ans, j’ai donc travaillé sans relâche depuis presque une décennie. En réalité, j’ai eu beaucoup de chance que LVMH ait souhaité investir dans ma marque, ait pris ce risque en m’offrant le poste de directeur créatif de Loewe. Tous les designers veulent marquer leur temps, je ne fais pas exception à la règle. Je veux être capable d’apporter ma contribution à une industrie qui, aujourd’hui, va à la vitesse d’une formule 1. La chute peut être aussi rapide que l’ascension. Le monde dans lequel j’évolue est totalement différent de ce qu’il était il y a une dizaine d’années. Êtes-vous proche des créateurs britanniques? Avezvous perçu une jalousie de leur part à votre égard? Pour être honnête, je n’ai jamais été proche des designers Esquisse britanniques. Je pense que, parfois, dans la mode il vaut mieux s’isoler. Je n’ai aucune envie de parler chiffons le soir, après ma journée de travail. J’ai donc tendance à séparer ma vie privée de ma vie professionnelle. Le soir et le weekend, je ne veux plus entendre parler de vêtements. Comment occupez-vous donc vos week-ends? Je ne sais pas… Je finis généralement par faire le ménage. Vraiment? Vous faites le ménage vous-même? Je le faisais encore récemment… Je nourris depuis peu des passions pour la céramique, le jardinage ou la décoration. Ces obsessions prennent de l’ampleur jusqu’à ce que j’aie fait le tour du sujet et fini, en général, par acheter quelque chose dans une galerie. Et le week-end suivant, je suis pris d’une nouvelle obsession. On peut dire que c’est ma méthode pour ne plus penser à la mode. Ou y penser moins. Vous avez déclaré plusieurs fois vouloir prendre modèle sur Tom Ford et Hedi Slimane, qui, au-delà de la stricte création, ont révolutionné le marketing et le branding de l’industrie. En quoi vous inspirent-ils? Il est inévitable que les figures tutélaires de l’époque dans laquelle vous grandissez aient un impact sur vous. Dans ma jeunesse, Tom Ford était omniprésent. Sa conception du Séducteur et très talentueux, Jonathan Anderson a pensé un temps embrasser une carrière d’acteur… Aujourd’hui directeur artistique de Loewe, le bel Irlandais exprime avec force et détermination sa vision du branding et de la création. Rencontre. 36 Esquisse branding m’a énormément influencé. Hedi Slimane, lui, était une figure majeure lorsque j’étais étudiant. Sa contribution au prêt-à-porter masculin a eu une influence considérable qui s’est même étendue au prêt-à-porter féminin. Il a imposé le règne du jean skinny. En ce qui me concerne, j’ai toujours été clair : je ne me considère pas comme un designer, mais comme un directeur de création. Lorsqu’on dirige deux marques, il est simplement impossible de dessiner dix collections par an en s’enfermant seul dans une pièce. Je préfère être impliqué dans l’image de la marque, dans le développement des boutiques, dans toutes les décisions qui concernent la publicité. C’est beaucoup plus excitant. J’adorerais avoir le talent de designer de M. Alaïa, mais je ne le posséderai jamais. Quelle a été l’influence de Miuccia Prada et de Manuela Pavesi, responsable des vitrines de la marque que vous avez quelque temps assistée, dans votre approche de la mode? Manuela Pavesi a exercé sur moi une influence considérable, de par son point de vue extrêmement personnel, sans compromis. Je suis admiratif d’une telle confiance en soi. Miuccia Prada, pour qui Manuela travaillait, a changé le visage de la mode. Miuccia Prada a une approche très intellectuelle de son métier, vous reconnaissez-vous dans une telle philosophie? Dans la mode, les vêtements ne représentent qu’une petite partie du travail. Le reste consiste à raconter une histoire et à savoir la vendre. Cela exige une direction artistique très forte. Mais je ne pense pas qu’il faille intellectualiser la mode plus que de raison. J’ai eu de nombreuses discussions avec des amis, et, finalement, la question qui revient est : la mode est-elle un art ? Par rapport à cette question, je vois les choses différemment. L’art recouvre de plus en plus souvent des aspirations commerciales, il est entré dans une autre forme d’économie. Or la mode, pour sa part, ne s’est jamais cachée d’être un business. Nous vivons donc un moment de notre culture qui est particulièrement intéressant. Depuis votre campagne où vous avez réutilisez des visuels de Steven Meisel, on vous a parfois comparé aux artistes appropriationnistes tels que Sherrie Levine. Êtes-vous influencé par ce courant? J’ai une très grande admiration pour l’art. La création de mode est extrêmement éphémère. Le seul moyen pour moi d’échapper à ce destin est de collaborer avec des artistes. La mode est un système qui génère le recyclage incessant, qui génère l’oubli. La mode se cannibalise. Loewe est une maison de maroquinerie traditionnelle, née en 1846. Comment définiriez-vous son identité? Ce qui définit Loewe aujourd’hui, c’est que la maison est enfin dotée d’un langage de mode. Nous vivons à une époque où un sac n’existe pas sans le garçon ou la fille qui le porte. Il faut donc pouvoir vendre l’image qu’incarne ce garçon ou cette fille. Loewe possède des archives très riches et des équipes formidables qui avaient simplement besoin d’un challenge. Chercher la nouveauté, c’est le sens même de la mode. Je veux que Loewe soit un succès, “Nous vivons à l’époque du pouvoir des huit millions de followers. Certains magazines n’ont pas ce pouvoir, mais certains individus l’ont. Si Cara Delevingne poste sur son compte Instagram la campagne Loewe, l’image est “likée” en quelques heures par trois millions de personnes, et elle aura été vue, finalement, par huit millions de personnes. C’est excitant de vivre à une époque où le monde change si vite, juste là, sous nos yeux. Il ne faut pas lutter contre, il faut embrasser ce changement.” c’est mon objectif personnel. Trouver la nouveauté implique l’acte très simple de penser. J’aime me dire que c’est ce que nous faisons : pousser les gens à penser. En travaillant avec les photographes Jamie Hawkesworth, Steven Meisel, et les directeurs artistiques M/M (Paris), j’espère que nous avons réussi à changer la façon dont le public perçoit la publicité. Prendre une image d’archives de Steven Meisel et la proposer sous un jour nouveau était un risque. C’était un commentaire sur le fait que cette industrie se cannibalise, que tout a déjà été fait et reproduit, et je pense que les magazines ont sous-estimé le pouvoir des jeunes générations, le pouvoir des réseaux sociaux. Les dix prochaines années seront celles du contrôle des marques par le consommateur. C’est excitant, car cette période permettra aussi de délivrer directement ses propres messages sans passer par la presse. C’est ce qu’Hedi Slimane a déjà réussi à faire. Ce nouveau pouvoir des marques n’est-il pas effrayant? Je pense que nous avons toujours peur de la nouveauté. Mais il ne s’agit pas du pouvoir des marques, mais de celui des consommateurs : au bout du compte, les chiffres vous disent si un article se vend. Afin de connaître le succès sur les réseaux sociaux, votre message doit être extrêmement clair. Quel estil? Vous avez mis en scène une vision nouvelle et plus joyeuse du vêtement unisexe, qui n’est ni l’androgynie des années 70, ni le minimalisme des années 90. J’ai lancé le prêt-à-porter féminin de ma propre marque pour compléter mon prêt-à-porter masculin, d’où l’idée d’une garde-robe partagée. L’androgynie est un concept usé, c’est devenu un terme de stylisme. Le mot “unisexe” est lui aussi trop nostalgique. Je suis parti des vêtements les plus génériques, le tee-shirt, les jeans, la chemise blanche et, en fin de compte, ce qui me mobilise c’est le challenge de trouver quelque chose qui plaise autant à la femme qu’à l’homme. J’aurais adoré inventer la chemise blanche. La mode n’est finalement que la liberté de chercher la modernité, et son expression change très rapidement. C’est un manifeste de darwinisme appliqué à la mode : ce qui survit est bon. Exactement, ce qui survit est bon. Peu importe l’origine des formes. L’idée de codes même est obsolète, car le public s’ennuie en 24 heures. Aujourd’hui, il faut divertir les gens, c’est le défi auquel sont confrontées toutes les industries. C’est ce qui explique d’ailleurs le succès des séries, qui ont supplanté les films. Apple propose chaque année un nouvel iPhone qui, avec quelques nouveaux ajustements, suffit à créer des files d’attente à l’entrée des boutiques dans le monde entier. Il ne s’agit donc pas aujourd’hui d’essayer de ralentir le rythme : le challenge est au contraire de réussir à l’accélérer encore. Le luxe s’ancre au contraire dans la légitimité du savoir-faire, de l’héritage, d’une transmission. Quelle est sa place aujourd’hui? La grande question est : le luxe existe-t-il encore ? Pour moi, il ne s’agit plus de luxe, mais simplement de marques, qui doivent apprendre à parler à leur public de façon beaucoup plus engagée et personnelle. Aujourd’hui, la communication doit être émotionnelle. Comment avez-vous abordé Loewe? Ses racines espagnoles, son héritage jouent-ils un rôle dans votre vision? J’ai voulu l’aborder sans nostalgie. Tout le monde sait que cette marque est espagnole. Nous sortons d’une époque qui n’a cessé de célébrer le grand âge des maisons. N’est-ce pas déprimant? Personne ne veut être vieux. LVMH voit les choses différemment : il faut prendre des risques, il s’agit d’un pari. Nous vivons à l’époque du pouvoir des huit millions de followers. Certains magazines n’ont pas ce pouvoir, mais certains individus l’ont. Si Cara Delevingne poste sur son compte Instagram la campagne Loewe, l’image est “likée” en quelques heures par trois millions de personnes, et elle aura été vue, finalement, par huit millions de personnes. C’est excitant de vivre à une époque où le monde change si vite, juste là, sous nos yeux. Il ne faut pas lutter contre, il faut embrasser ce changement. C’est ce qui me donne envie de me lever le matin. 39 40 Par Olivier Joyard, portraits Sofia Sanchez et Mauro Mongiello, réalisation Rebecca Bleynie Wild Rose C’est comme compagne de Marilyn Manson et comme héroïne de la série Charmed que Rose McGowan a d’abord conquis sa célébrité. Mais cette actrice aussi charismatique que sauvage s’est surtout illustrée par ses rôles auprès de réalisateurs underground ou cinéphiles, de Gregg Araki à Quentin Tarantino. Avant, à son tour, de prendre la caméra, en tant que réalisatrice. Rencontre. Assistantestyliste:Camille-JoséphineTeisseire.Maquillage:HélèneVasnierchezArtList.Coiffure:NabilHarlowchezBAgency.Numérique:AlexandreMarillat.Production:NadiaLessardchezTalentandPartner.MerciauStudioMontmartre Profil “Vous savez, j’ai arrêté d’être actrice pendant sept ans.” La femme menue et déterminée qui se tient face à nous dégage une aura immédiate. Un mystère. Rose McGowan aurait pu être une héroïne intemporelle et blessée de David Lynch, mais elle n’a jamais croisé la route du gourou filmique de Los Angeles. Depuis les années 90, elle a préféré mûrir sa carrière dans les limbes du cinéma américain le plus fou, notamment celui de Gregg Araki, son découvreur, celui qui a vu en elle le premier rôle de The Doom Generation, manifeste pop et romantique qu’il a signé en 1995. À l’époque, Rose McGowan n’avait pas encore de but dans la vie et brillait par son jeu spontané et profond. Elle raconte sans détour les circonstances dans lesquelles elle avait été repérée par la productrice du film, en Californie. “Elle m’a vue à un coin de rue. Je pleurais, car mon petit ami venait d’être assassiné un mois plus tôt. Je regardais dans le vide. J’avais besoin d’argent pour louer un appart, alors j’ai accepté de jouer dans le film. C’est comme ça que je suis devenue actrice. Je n’avais aucune ambition, aucun plan. J’habitais chez un ami, je dormais sur son canapé et m’apprêtais à retourner vivre à Seattle avec mon père. Mais je n’aime pas cette ville alors je suis restée à Los Angeles.” La trajectoire n’a jamais été rectiligne pour Rose McGowan, née en Italie dans les années 70 alors que ses parents appartenaient à ce qui est aujourd’hui considéré comme une secte, The Children of God, organisation chrétienne qui comptait nombre d’anciens hippies rescapés des sixties. Pendant cette période de vie en communauté, elle a débuté une carrière de modèle avant de revenir aux États-Unis à l’âge de 10 ans. Cinq ans plus tard, elle demandait son émancipation. De cette enfance dont elle ne dit pas tout, l’actrice tire un rapport singulier au cinéma. “Quand j’étais petite, je pensais qu’une caméra invisible me suivait partout. Je ne me curais jamais le nez, je n’entreprenais rien de bizarre par peur d’être prise sur le fait. Le cinéma était très présent dans nos existences car mon père nous emmenait voir des films classiques. J’ai vu la mélancolie de Boulevard du crépuscule à l’âge de 4 ans. Tout cela a peutêtre joué dans le fait que pour moi, la caméra a longtemps été un prédateur, un juge, un adversaire.”
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